10 juin 2015

Le Québec recrute en France : la promesse d'un emploi est-elle suffisante pour décider d'émigrer ?

À une époque, pas si lointaine, le Québec encourageait l’immigration, principalement francophone, dans l’objectif d’assurer avant tout la pérennité de sa langue et de son identité culturelle. Bref, de son droit d’exister en tant que nation francophone accotée à un vaste écosystème anglophone. Aujourd’hui, j’imagine que la survie de la langue française prime toujours mais, que voulez-vous, à notre époque où tout n’est plus que valeur marchande, l’immigration économique semble prendre le dessus. Certes, le Québec connaît une pénurie de main d’œuvre spécialisée notamment dans les secteurs manufacturier, des technologies de l’information ou encore de l’aérospatiale. 

Plusieurs entreprises québécoises n’hésitent pas à partir à la recherche des perles rares introuvables ici, semble-t-il. Encore dernièrement, seize entreprises du Grand Montréal ont pris part à la 12e édition des Journées Québec, qui s’est déroulée du 30 au 31 mai 2015 à Paris. Ces talents internationaux représentent sans aucun doute une manne pour la croissance du Québec et notamment de Montréal. Toutefois, outre la promesse d’un emploi bien rémunéré, je me demande ce que l’on dit d’autre à ces candidats prêts à tout laisser pour déserter le « marasme européen » où tout semble sans issue.

Parce que je n’y vis plus depuis longtemps, je ne peux présumer de la réalité si catastrophique que l’on dépeint en France. En revanche, puisque je vis à Montréal depuis vingt ans, je me permettrai d’émettre certaines réserves si, à ces futurs candidats à l’immigration, on a vanté comme à l’habitude la super qualité de vie à Montréal. Car les choses ont malheureusement changé. Même si la métropole offre en effet de nombreux avantages, son déclin économique ces dernières années entraîne son lot de fissures dans son beau portrait. Mais ça, on ne le dit peut-être pas sur place, une fois là-bas à Paris…

Si immigrer au Québec est le rêve de beaucoup de Français ayant (ou pas) déjà foulé la « terre promise », y faire sa place n’est pas forcément chose facile et cela peut même prendre pas mal de temps et de galères malgré l’accueil toujours chaleureux des Québécois. La décision d’immigrer de façon volontaire repose sur une réflexion dûment murie, d’autant plus si on fait le grand saut en couple ou en famille, en toute connaissance des efforts à accomplir et des nombreuses étapes qui devront être franchies. Il y a bien entendu plusieurs types d’immigration : celle dans le vide où tout est à reconstruire, celle temporaire pour poursuivre des études ou vivre une expérience à l’étranger (comme les programmes vacances-travail d’une durée d’un an ou deux qui séduisent tant de jeunes Français de 18 à 35 ans ; c’est pour cela qu’il y en a autant dans les rues et les boutiques du Plateau Mont-Royal !) ou encore celle pour raisons professionnelles ou des possibilités d’investissement. Bref, autant de variantes qui n’engagent pas la même énergie ni la même persévérance dans le processus d’intégration. Pour la première variante, on est conscients du temps que ça peut prendre et des quelques sacrifices à faire au passage. Pour les autres, rester quelques années est déjà en soi un super accomplissement. L’idéal, quand on y pense bien, c’est de débarquer avec un job en poche (et ta carte de résident permanent) pour pouvoir entamer ta nouvelle vie dans ton pays sans trop d’écueils.

Pour revenir à tous ces heureux élus qu’on est allés recruter sur place et qui vont bientôt débarquer à Dorval, j’aimerais pouvoir leur dire qu’ils vont vivre dans la « plus meilleure ville créative au monde ». Et que, rien que pour ça, ils font partie des grands chanceux. Car, un job, aussi intéressant et bien payé soit-il, reste un job. Une entreprise, aussi innovante et performante soit-elle, reste une entité avec sa hiérarchie, ses procédures et processus, ses forces et ses faiblesses. En France comme au Québec. C'est la ville où l'on vit et travaille qui compte.

Malheureusement, Montréal a perdu quelques-unes de ses lettres de noblesse et ne fait pas vraiment rire ces derniers temps. Elle est même aussi morose que ces journées grises et plombées de notre printemps. Bien sûr, son nightlife attire toujours autant une faune jeune, branchée et festive ; bien sûr, ses hyper nombreux festivals d’été font le bonheur de tous et chacun, notamment les nombreux touristes auxquels on arrête pas de faire les yeux doux. Bien sûr, celui ou celle qui débarque en ville ne peut que trouver Montréal super cool, d’autant plus qu’elle regorge de bars, de bars et de bars aussi concepts les uns les autres. Mais quand l’été laisse sa place et que la visite s’en va, bonjour la déprime… Le citoyen vit sa routine dans une ville figée dans ses lourdeurs administratives, ses chicanes de clochers et… son hiver qui peut être long, surtout si on n’a pas les moyens de partir une semaine dans le Sud. À force d’emprunter ses routes et ses trottoirs rafistolés ou son réseau de transport en commun vieillot, le nouvel arrivant aura vite commencé à remarquer que Montréal, derrière sa couche de bonne humeur, est pas mal bancale et rafistolée. Il comprendra qu’il ne faut pas trop rêver quant aux super projets d’infrastructures qu’on nous annonce à l’occasion. Le Montréalais a appris qu’il vaut mieux voir avant de croire… La ville présente aussi des maux plus profonds comme une pauvreté endémique visible ou dissimulée, un nombre de plus en plus grand d’emplois sous-payés, atypiques ou précaires, des cas graves de maladie mentale à ciel ouvert, etc.

Tout ça finalement pour dire qu’il est certes important de pouvoir compter sur des talents d’ailleurs pour contribuer à la croissance économique du Québec (quoiqu’il semble y en avoir pourtant déjà sur place, assis trop souvent au volant de certains taxis …). Mais il est tout aussi important de pouvoir les motiver et les retenir, tous ces talents. Sinon, Montréal va réellement devenir une simple ville de passage ou à fuir, comme cela semble déjà être un peu le cas, si j’en juge de nombreux commentaires et cas concrets autour de moi.

10 février 2015

Le Plateau se meurt et personne ne devrait s'en réjouir

Qu’on aime donc les taquiner ou même les détester, cette fameuse république du Plateau et ses bourgeois-artistes-bohèmes-Français-rues impraticables-pas de places de stationnement. Pendant que plusieurs commerces du quartier ferment leurs portes depuis ces dernières années, on aime ainsi répéter ad nauseam que la situation est la faute de son maire Ferrandez et de ses lubies de changer les sens de la circulation qui ont découragé plus d’un visiteur à faire ses emplettes sur le Plateau. Certes, ça n’a certainement pas aidé. Mais il y a bien d’autres choses, comme la concurrence des mégacentres en banlieue, la congestion routière sur les ponts, la baisse du pouvoir d’achat des citoyens combinée à des hausses de prix des biens de consommation. Et puis il y a ces éternels travaux de voierie qui ont fait beaucoup de tort sur Saint-Laurent et qui vont vraisemblablement achever Saint-Denis. Le « boutte du boutte » comme on dit au Québec… Blague à part, le mois dernier, c’est mon ami Lambert et son frère André qui ont servi leurs derniers clients dans leur boutique Couleurs sur Saint-Denis justement, après 16 ans de bons et loyaux services. Une fermeture lourde de sens et d'émotion. Car derrière la façade de chaque boutique, il y a un ou plusieurs êtres humains qui consacrent beaucoup de temps et d'énergie. Aussi, si vous avez l’occasion d’emprunter les rues du quartier, vous ne pourrez manquer les annonces d’appartements à vendre qui poussent comme des champignons ces temps-ci. Preuve que le quartier, que plusieurs décident de déserter, vit des moments difficiles. À moins qu’il ne se transforme tout simplement, comme le pensent les optimistes.

Pour ma part, je pense que le mal dépasse les frontières du Plateau, et est symptomatique du déclin généralisé de Montréal, autrefois si forte de belles promesses. Et on devrait tous s’en inquiéter. Croyez bien que ce que j’écris là m’attriste énormément alors que c’est ma ville d’adoption depuis 20 ans déjà. Toutefois, j’ai l’occasion de parcourir régulièrement ses rues à pied ou en bus et je peux affirmer que Montréal va mal depuis au moins cinq ans. Ces vitrines placardées que l’on peut voir en grand nombre sur le boulevard Saint-Laurent ou sur la rue Prince-Arthur (entre le boulevard et le carré Saint-Louis notamment) qui a véritablement perdu son âme, elles se retrouvent aussi dans d’autres endroits comme sur la Plaza Saint-Hubert, sur la rue Sainte-Catherine ou encore dans certains centres commerciaux du centre-ville.

Montréal va mal car depuis trop longtemps, on s’est pété les bretelles en se rappelant combien elle était unique et cool (ce qui est vrai), et ses élus consécutifs se sont bornés à ne travailler qu’en surface. Quelle est la signature ou la marque de commerce de Montréal ? Notre ville est-elle si incontournable que ça sur la scène internationale, et ce au-delà de sa super nightlife, de sa notoriété comme «mecque du sexe » ou du dernier sondage de The Economist ? Comment la créativité, cette caractéristique de Montréal devenue un mot marketing fourre-tout se matérialise-t-elle dans le quotidien des Montréalais ?

Je ne sais pas si vous serez d’accord avec moi mais notre ville, je l’ai toujours comparée à une adolescente un peu gauche et rebelle. Sauf que cette ado, on ne l’a jamais encouragée, guidée ou même remise à sa place de temps en temps. Elle a grandi un peu croche sans trop savoir qui elle est vraiment et ce qu’elle veut devenir.

Elle n’a pas été beaucoup dorlotée non plus. Ou en tout cas, elle n’a pas reçu toutes les attentions qu’elle méritait. À part quelques rafistolages ici et là, et quelques nouveautés ultra-médiatisées comme le nouveau quartier des spectacles ou les nombreux immeubles de luxueux condos au centre-ville, Montréal vit au rythme de l’ouverture et de la fermeture de concepts de bars-restaurants-cafés-salons de thé. Pouvez-vous citer au moins un grand changement qui a bonifié véritablement la qualité de vie des Montréalais ou qui a transformé le visage d’une rue ou même d’un quartier ? Oui oui, il y a bien eu Griffintown ou encore la prise du pouvoir suprême des Hipsters aux commandes de boutiques branchées du Mile-End. Mais encore ? Parlant d'infrastructures, le réseau du métro n’a pas beaucoup évolué et certaines de ses stations sont devenues pas mal décrépies depuis le temps (quand vous attendrez sur un quai de la station Berri-Uqam, levez les yeux au plafond pour voir). La rue Sainte-Catherine quant à elle – pourtant réputée comme l’artère commerciale la plus achalandée au Canada – n’a pas été revampée depuis belle lurette même s’il on en parle depuis belle lurette (selon les épisodes du développement du transport collectif ou du système léger sur rail du Pont Champlain, ça devrait prendre des années d’études pour voir ne serait-ce que les prémices d’une décision d’un début de projet). Autre exemple : croyez-vous que l’on attend qu’un malheureux incident survienne à l’îlot voyageur abandonné – comme par exemple l’effondrement d’un de ses étages éventrés en raison de l’usure due aux intempéries – pour faire enfin quelque chose de cette affreuseté urbaine ? Le réseau d’aqueducs, quant à lui, pète à divers endroits de la ville. Et on répare et on colmate.

Il est certain qu’on n’a pas les mêmes moyens que dans les années 1970 pour voir en grand et pour rêver. Quoique, peut-être qu’on gérait mieux l’argent à cette époque-là. Mais on savait surtout se foutre des conventions et on osait. Avant la semaine des quatre jeudis, j’espère ainsi voir un homme, une femme ou bien une équipe – une sorte de messie quoi –  véritablement désireux de faire tomber les silos (pas les vrais, ceux de pouvoirs, de territoires et d’expertises), de débarquer ceux et celles qui préfèrent tourner en rond et de fouetter les troupes pour mettre enfin en oeuvre de grands projets. Car pour être de statut international, il faut prendre des moyens de niveau international. Quitte à puiser dans la cagnotte prévue pour la tenue d'événements nostalgiques comme les célébrations du 375e anniversaire, les sommets en tous genres qui réunissent le gratin politique d'ici ou d'ailleurs, ou encore la visite d'un Pape, que j’espère très hypothétique, dans une ville qui prône pourtant haut et fort la laïcité…

11 novembre 2014

Se pourrait-il que nos hommes soient malades... de détresse ?

Le raz de marée de témoignages de femmes agressées sexuellement qui a suivi la mise en lumière des agressions perpétrées par Jian Ghomeshi, m’a profondément attristée, abasourdie et perturbée. Comment se fait-il que, dans un Québec (et un Canada) qui aspirent tant à l’égalité des hommes et des femmes, il y ait une telle proportion de femmes qui ont vécu l’inimaginable et qui plus est, dans de nombreux cas par des proches ?

Dans son article Cher Foglia, vous n'avez rien compris, Louise Gendron du magazine Châtelaine écrit « Tous les hommes ne sont pas des violeurs. Mais toutes les femmes, ou presque, ont peur. Pas besoin qu’il y ait 40 000 lions dans la savane pour changer le comportement de la gazelle (...). Les femmes ont l’inconscient d’une biche. Une peur chevillée si profondément qu’elles sont incapables d’imaginer la vie sans elle. La peur comme un sabot de Denver. ». Aussi, elle explique qu’après un sondage rapide au sein de l’équipe de Châtelaine, il s’avère que pas moins de 19 femmes cumulent 6 agressions sexuelles et 63 ont vécu des incidents désagréables, soit dans des circonstances où l’on se dit « là, je suis dans la merde, ça risque de dégénérer. ». Dans certaines commentaires lus ici et là, j’ai pu aussi relever ceci : « toutes les femmes ont la peur de marcher librement dans la rue ».

Et là, je suis obligée de dire que je n’embarque pas dans ce genre de rhétorique trop empreint d’émotivité selon moi. Ici, au Québec (on n’est pas en Inde ni dans certains pays du Maghreb), ce n’est pas vrai que j’ai peur de marcher librement dans la rue. Et si je faisais un sondage autour de moi, je ne pense pas qu’il y ait tant d’amies que ça qui traînent la peur comme un sabot de Denver pour reprendre les termes de madame Gendron. Il est vrai que je ne suis pas un canon… Blague à part, je ne pense jamais à la menace d’une agression sexuelle à moins bien sûr de traverser le parc Lafontaine ou d’emprunter une ruelle seule à 2 h du matin. Certes, j’ai transmis à ma fille adolescente des notions élémentaires de prudence et surtout de respect de soi et, en tant que mère, je prie pour que rien ni personne ne la mette en danger. Toutefois, jamais ô grand jamais je ne lui ai transmis la peur de l’autre, quel qu’il soit.

En revanche, je vais avancer quelque chose ici qui risque de faire hérisser le poil de nombreuses personnes, surtout des femmes, qui vont peut-être penser que je prends la défense des hommes.  Ce qui n’est pas mon propos puisqu’ici. J'essaie juste de comprendre pourquoi, au sein d'une aussi petite population (en termes de nombre de personnes), il y ait autant de violence. Ainsi, mon questionnement est le suivant ; se pourrait-il qu’un bon nombre de nos hommes soient malades… de détresse et de blessures passées ?

Faut-il rappeler que les hommes se suicident trois fois plus que les femmes ? Faut-il rappeler qu’il y a seulement 20 ans, le taux de suicide des adolescents québécois était l'un des pires au monde (source : Le Québec n'a plus le pire taux de suicide au pays) ? Si on devait comparer le nombre d’organismes de soutien pour femmes et ceux pour hommes, je suis pas certaine qu'il y a un fort déséquilibre. Alors, qu'est-ce qu'ils deviennent tous ces hommes tourmentés mais non soutenus ?

Il y a aussi le nombre de signalements d’enfants maltraités en hausse en 2013. Pour son dixième bilan annuel, la Direction de la protection jeunesse s'inquiétait ainsi de la hausse du nombre de signalements d'enfants maltraités avec des augmentations de 12,3 % à Québec, et de 8,4 % pour la région de Chaudière-Appalaches. Pour l’ensemble du Québec, 80 540 signalements avaient été traités par la Direction de la protection jeunesse (DPJ), soit une augmentation de 4 % par rapport à l'année précédente. Dans un rapport de l’Institut de la statistique du Québec intitulé la violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 2012, on pouvait lire aussi que dans l’ensemble, les garçons sont proportionnellement plus nombreux que les filles à vivre une forme ou l’autre de violence familiale (agression psychologique répétée, violence physique mineure ou sévère). Dites-moi, tous ces enfants ne risquent-ils pas d’être un jour ou l’autre dépressifs, alcooliques, toxicomanes ou d’avoir des troubles de la personnalité ou des comportements suicidaires ?

Sous ses airs bon enfant, il me semble que la société québécoise cache une âme torturée à différents niveaux dont celui des relations entre les hommes et les femmes. Pouvez-vous me citer là tout de suite, un super beau film d’amour québécois, sensuel et romantique (sans humour ni tourmente), créé au cours des vingt dernières années ? Moi non. Avez-vous aussi remarqué que la plupart de nos séries télévisées ou webséries racontent la dynamique bancale entre les deux genres ? Les filles d’un côté, les hommes de l’autre ou si les deux se rejoignent, c’est toujours assez bancal ou jamais gagné d’avance…

Je ne veux pas minimiser la tragédie que représente l’accumulation des témoignages de toutes ces femmes courageuses, mais je crois réellement que ce serait le temps de considérer la violence faite aux femmes comme un enjeu de société dans son ensemble. Parler du respect pour les filles à nos petits gars dès leur enfance, ce serait bien, encore faut-il qu’on leur parle, à nos petits gars…

02 novembre 2014

La vie d'un militaire a-t-elle plus de valeur que celle d'un simple citoyen ?

C’est une drôle de question mais elle me trotte dans la tête depuis le 1er événement qui a causé la mort d’un militaire à Saint-Jean-sur-Richelieu. Et elle ne cesse de me hanter depuis la fusillade à Ottawa qui a semé l’émoi et la mort d’un autre innocent, militaire lui aussi. Les images de ces tristes événements m’ont bien entendu touchée comme beaucoup de monde. De là à publier la photo des deux bergers allemands qui attendaient candidement le retour impossible de leur maître (cf. feu Nathan Cirillo), il n’était toutefois peut-être pas nécessaire de franchir ce pas…

Vous remarquerez que je n’ai pas utilisé les mots « attentat » et encore moins « terroriste » dans le paragraphe précédent. Car dans mon vocabulaire à moi, cela n’en était pas. La tragédie qui a eu lieu dernièrement à la gare routière de Gombe au Nigéria, en était un par exemple. Planifié, hyper organisé et destiné à faire le plus de victimes possible dans un endroit de grande affluence, une gare routière. Sans vouloir créer d’échelle de malheur, les événements de Saint-Jean-sur-Richelieu et d’Ottawa me semblent plutôt deux actes isolés de haine et de brutalité gratuite qui ont eu pour cible des représentants officiels du Canada.

Mais je ne veux pas jouer sur les mots ici en ce qui concerne les deux tragédies. Ce qui m’a plutôt choquée au plus haut point, c’est l’usage de ces mots qu’en ont fait les conservateurs sans la réserve qu’ils se devaient de respecter dans le cadre de leurs fonctions. N’y avait-il pas lieu d’attendre les premiers résultats d’une enquête avant d’avancer la présence d’un véritable réseau de djihadistes au pays ? Quel message a-t-on voulu lancer avec tout ce cérémonial autour des funérailles régimentaires de feu Nathan Cirillo en présence même du secrétaire d'État américain, John Kerry, qui s’était soudainement intéressé à ce qui se passe au nord de la frontière ? Pourquoi avoir immédiatement utilisé des termes dignes de stratégies de guerre alors que le Premier ministre Harper et son équipe savaient très bien que le peuple canadien était sans aucun doute sous le choc ?

 « Ce ne sera plus jamais pareil. Les événements de cette semaine nous rappellent tristement que le Canada n'est pas à l'abri des attaques - des types d'attaques que nous avons vues ailleurs dans le monde», a-t-on pu entendre de la bouche de monsieur Harper (de mémoire).  « Ces gestes (des auteurs des attaques) nous amèneront à augmenter notre détermination et redoubler nos efforts et ceux de nos agences de sécurité nationales à prendre toutes les mesures nécessaires pour identifier et contrer les menaces et assurer la sécurité du Canada ».

Mais, monsieur Harper, dans quel monde vivez-vous ? Il y a bien longtemps que le monde n’est plus comme avant. Des attentats, il y en a chaque jour dans plusieurs pays du monde, lesquels font de nombreuses victimes au sein des populations locales. Même si j’ai la chance de vivre au Canada, pays de paix et sécuritaire, je fais partie de ce monde en dérive, et si je suis chaque jour consciente de la chance que j’ai, je suis aussi atterrée de savoir que tant de gens vivent dans la plus grande pauvreté ou dans la peur ailleurs dans le monde. Et je sais aussi que le pays dans lequel je vis participe d’une façon ou d’une autre à certaines dérives géopolitiques. Car il est évident que les pays occidentaux, en tous cas certains de leurs joueurs, ne sont pas étrangers au bordel qui se répand dans certaines régions du monde, notamment au Moyen-Orient. La Syrie en est un bien triste exemple. L’or noir, les gros sous et la vente d’armes sont au cœur de certaines « amitiés » ou « connexions » douteuses. Avec son super ami, les États-Unis, le Canada n’y échappe pas. Et ne parlons pas des pays européens dont la France. Comme dernier exemple, beaucoup se sont ainsi demandé pour quelles raisons « officielles » Bernard-Henri Lévy s’était rendu dernièrement en Tunisie (Bernard-Henri Lévy refoulé en Tunisie).

L’État islamique est une création de ces dérives qui perdurent depuis longtemps. Successeur d’Al-Qaïda, ce groupuscule encore plus radical instrumentalise les concepts religieux de l’islam à des fins politiques. Je me demande ainsi d’où vient l’argent nécessaire pour mener à bien ses actions. Pour parvenir à ses fins, l’EI n’hésite pas à abattre ses ennemis (Les djihadistes abattent 200 membres d'une tribu sunnite). Ainsi, les plus grandes victimes ne se situent pas dans nos pays sécurisés. Et sont pour la plupart du temps, ces musulmans que l’on associe trop rapidement à l’extrémisme islamique. Comme l’a fait Adolf Hitler à une époque, ces groupes radicaux en puissance profitent d’un état de crise sociale et économique général pour faire de la propagande et enrôler, quitte à exterminer sans scrupule leurs ennemis. Alors oui, je suis inquiète. Y compris de cette radicalisation de jeunes et de moins jeunes.

Toutefois, je n’adhère pas aux propos du gouvernement conservateur. Je n’adhère pas au fait que le Canada s’associe sans hésiter à la force de frappe aérienne décrétée par les États-Unis. Si la menace que représente l’EI est bien réelle sur le terrain, il y a aussi beaucoup de gens qui sacrifient leur vie pour le combattre et qui vont être des victimes collatérales de ces frappes aériennes. Le bordel n’en sera que plus grand. Cela aurait été bien que notre pays démontre un véritable pouvoir d’influence pour penser avec ses alliés, y compris musulmans, à une solution politique. Ce qui n’empêche pas bien sûr nos services de renseignements déjà fort compétents de rester vigilants, comme ils l’avaient été avec les auteurs des derniers drames. Mais pensez-vous vraiment qu’il aurait été possible pour eux de prévenir les actes de folie de Moncton, Saint-Jean-sur-Richelieu et Ottawa ? Isolés, ils me font plutôt penser à des actes suicidaires de personnes d’abord au bout du rouleau psychologiquement avant d'être des adeptes de l'EI. Alors, s’il vous plaît, monsieur Harper, ne profitez-pas de telles situations pour jouer les gros bras avec l’Oncle Sam.

27 septembre 2014

Ma fille n'aime plus l'école et je la comprends...

Bien sûr que non, je ne lui ai pas dit… C’est entre vous et moi. Mais mon constat est le suivant : l’éducation en fin de secondaire est du bourrage de crâne. Ma fille a fait sa scolarité jusqu’à aujourd’hui dans le système public d’éducation. D’excellentes années au primaire, et de très belles au secondaire… jusqu’à cette année où elle débute son secondaire 4 dans son école à vocation particulière art dramatique où les relations élèves et professeurs ont toujours été très bonnes. Emballée à la veille de la rentrée, elle a rapidement déchanté au bout de deux semaines seulement. J’écoutais ses doléances d’une oreille distraite car une ado est une ado, ça a tendance à rouspéter pour rien…

Sauf que j’ai assisté à la rencontre parents-professeurs organisée à l’école la semaine dernière. Et là, j’ai su et j’ai compris. L’année va être difficile. Les professeurs avaient déjà l’air découragé et à les écouter, je l’étais moi-même. Que s’est-il donc passé ?

J’ai peut-être une explication, que voici. Vers la fin du secondaire 3, les jeunes sont entrés dans le vrai monde, celui de la performance et des modèles de réussite préétablis. Car on leur demandait de faire un choix qui semblait pouvoir avoir des répercussions sur la suite de leur parcours scolaire et sur leur avenir professionnel. Alors toi le jeune, tu choisis TS (mathématique, séquence Technico-sciences) ou CST (mathématique, séquence Culture, société et technique) ? Ce sont les deux voies proposées dans l’école de ma fille. Sachez qu’il existe aussi SN (mathématique, séquence Sciences naturelles), STE (science et technologie de l’environnement de la 4e secondaire) ou SE (science et environnement).

Très vite ont circulé dans les couloirs et entre les élèves des rumeurs sur le fait que la filière TS allait ouvrir les portes de tous les cégeps tandis que la filière CST, bof… Il y avait déjà les bons et les moins bons, il y avait ceux qui réussiront et ceux qui auront des métiers qui ne paieront pas beaucoup. Certes, un grand nombre d’élèves a choisi TS par choix ou par obligation des parents, ce qui a nécessité la création de deux classes ; les autres par choix, ou parce qu’ils ont un niveau en maths plus faible, ont choisi CST et se retrouvent dans une seule classe de 32 élèves. Un melting pot d’apprenants aux nombreux défis (démotivation et troubles d’apprentissage) et aux niveaux de connaissance divers (certains sont passés entre les mailles du filet et les retards se sont alors accumulés au fil des ans). Je conclurai ce tableau bien sombre sur le fait que le secondaire 4 est l’année la plus importante en vue de l’acceptation au cégep et que le programme de l’année est très lourd en raison des exigences du Ministère. Les élèves et leurs professeurs doivent passer au travers une tonne de sujets en l’espace de quelques mois seulement. À côté de cela, les apprenants se coltinent la même matière en histoire, soit celle du Canada et du Québec pendant deux années consécutives. En secondaire 3, elle est étudiée d’un point de vue chronologique, en secondaire 4, elle l’est par thèmes. C’est à n’y rien comprendre.

Assise sur ma chaise de classe lors de cette rencontre avec les professeurs, je me revoyais à l’école à cet âge-là et avec les mêmes défis. On devait également choisir notre parcours. J’avais opté pour la filière lettres et langues étrangères, la « poubelle » pour bon nombre de personnes, notamment les bollés des sciences et maths. Ça fait plus de trente ans et ça n’a donc pas changé… ?

Je ne cherche pas ici à dénoncer le travail des professeurs ni à dénigrer de quelconques difficultés d’apprentissage. Mais je ne peux que constater que la course au diplôme est l’unique raison d’être qui motive ainsi des heures et des heures de bourrage de crânes et d’apprentissages par cœur. Qu’en reste-t-il une fois le diplôme en main ? Le ministère de l’Éducation reste l’instance souveraine qui, du haut de son donjon, impose des prérequis et exige des résultats sans s’adapter aux réalités vécues par les jeunes et à leurs nouvelles connaissances. Parce qu’ils en ont et qu'elles évoluent très vite !

De nos jours, on parle beaucoup d’éducation mais comme valeur marchande uniquement. Or, on aura bien beau réduire les budgets, le problème de fond restera le même : l’école d’aujourd’hui doit être repensée. Elle doit réfléchir à la place qu’elle peut donner à l’élève dans l’élaboration de son propre processus d’apprentissage, elle doit accepter l’introduction de types d’éducation non traditionnels qui pourraient s’arrimer à l’enseignement formel existant. Ma fille, par exemple, n’a jamais été aussi engagée dans un cours d’histoire que le jour où elle et une amie ont décidé de monter une vidéo sur un sujet qu’elles ont choisi, la crise d’Octobre. Recherche de photos, voix hors champ, montage, etc. Le résultat final était bluffant. Plutôt que d’apprendre par cœur ce qu’un professeur ou un livre lui a raconté, elle a puisé elle-même dans les carnets de l’histoire pour créer son récit à elle. 

Alors, oublions un peu les gros sous, et pensons créativité et inventivité.

17 septembre 2014

La seule retraite qui m'intéresse, c'est celle de... Marie-France Bazzo

Mais oui, bien sûr, c’est une blague même si je rêve (non, j’ai l’objectif) d’animer un jour ma propre émission. Et puis, je devrais attendre longtemps car je ne pense pas que mon idole va prendre sa retraite du micro de sitôt. De toute façon, a-t-on vraiment envie de battre en retraite quand on aime ce que l’on fait ? Parlez-en à un certain monsieur Languirand !

Non, je cherchais plutôt une façon légère d’aborder un sujet beaucoup moins drôle, l’épargne pour la retraite. Comme les saisons, les cris d’alarme sur le faible niveau d’épargne des Québécois en vue de leur retraite reviennent régulièrement hanter les bulletins de nouvelles. Qui va payer? L’état pourvoyeur aura-t-il les moyens de soutenir un revenu de retraite décent à sa population vieillissante ? Que faire pour encourager le peuple à épargner toujours plus alors que fondent comme neige au soleil ses meilleures intentions et ses bas de laine ? En plus de précieux conseils, de petites vidéos sont diffusées dans les médias comme autant de petites leçons de vie. Ici, une famille surendettée qui reconnaît vivre au-dessus de ses moyens. Là, un couple qui préfère se priver de sorties au restaurant, de télévision ou d’autres gadgets de communication moderne pour mieux vivre leur passion du voyage.

Oh, bien sûr, je me sens à chaque fois interpellée par le sentiment d’urgence évoqué par les chroniqueurs ou les conseillers financiers. J’ai même l’impression qu’ils s’adressent directement à moi : « Eh toi, oui toi là, c’est bien à toi que l’on s’adresse, tu as la quarantaine bien sonnée et tu n’as pas beaucoup d’épargne ? Mais qu’est-ce que tu attends ? Tu as déjà pris bien du retard. Il est même peut-être trop tard… ».

Hé là là, qu’on est loin du rêve « Liberté 55 » dont certaines générations auront quand même eu la chance de profiter pour se la couler douce dès la mi cinquantaine avec un revenu décent assuré jusqu’à la fin de leurs jours. Les chanceux… Mais de nos jours, à part pour quelques ordres professionnels encore privilégiés, y a-t-il vraiment quelque chose de garanti pour assurer à qui que ce soit une retraite où le petit café du matin aura le délicieux goût du temps qui passe doucement ? En plus de la triste réalité d’aînés de plus en plus nombreux qui vivent une retraite de misère, des manchettes mettent aussi trop souvent à jour le cas de personnes qui sont dépouillées de leur épargne par des malfrats en cravate ou dépossédées d’une partie de leurs épargnes en raison de difficultés financières du régime de retraite de leur employeur. Certains se retrouvant ainsi du jour au lendemain sous le seuil de la pauvreté après avoir travaillé toute leur vie. À ce titre, les prochaines semaines au Québec rappelleront le cas de travailleurs qui doivent se battre pour défendre des gains chèrement acquis. Même si je fais référence ici aux employés municipaux qui ne sont certainement pas les plus à plaindre sur l’échelle de la débandade quant à la retraite grâce  à des régimes de retraite assez généreux, leur lutte pour leurs droits reste légitime.

Je précise « pas les plus à plaindre » car il y a tous les autres, ceux qui n’ont pas de régime de retraite d’employeur, ceux qui n’ont pas de REER ou un tout maigrichon, ni même de petites économies, il y a les précaires, les temporaires, les saisonniers, les employés au salaire minimum, les travailleurs autonomes, bref tous ceux qui font baisser le faible taux de chômage mais qui viennent gonfler la liste des personnes qui vont certainement devoir ramer dur jusqu’à perpète. Dans leurs cas, que signifie vraiment le mot « retraite » ?

De ceux-là, j’en fais partie. Il y a deux ans, j’ai participé à l’émission L’après-midi porte conseil animée par Dominique Poirier sur les ondes de la Première chaîne de Radio-Canada. Ce jour-là, on y parlait de retraite (la preuve que c’est un sujet qui revient régulièrement). « La retraite  ? Je n’y pense pas, bien trop occupée à vivre le moment présent » avais-je indiqué. « Comment puis-je me projeter dans l’avenir alors qu’au moment où je vous parle, mes principales préoccupations sont de m’assurer un niveau de vie décent, de payer mes factures à temps, d’assurer un bon niveau d’études pour ma fille, etc. Mettre de l’argent de côté ? Oui, je le fais quand je le peux et, heureusement, car cela m’est utile pour les petits ou les gros pépins mais aussi pour me payer des petits plaisirs de temps en temps. J’ai bien le droit, non ? ».

Car, comment me projeter 30 ans plus tard alors que je ne sais pas jusqu’à quand je vais devoir travailler. 70 ans ou plus ? Et puis, de quoi sont faits nos lendemains ? On ne le sait pas toujours. Mon père est décédé à la veille de ses 50 ans après avoir travaillé comme un fou et n’avoir profité de rien. Pour ma part, j’ai changé de continent (volontairement) à 28 ans avec l’obligation de recommencer ma vie professionnelle à zéro. Il y a quatre ans, je gagnais 60 000 dollars, deux ans après, mon revenu était de 18 000 dollars parce que j’ai décidé de me lancer à mon compte (on ne le dit pas assez mais ça coûte cher, l’entrepreneuriat… ).

Non, vraiment, j’ai du mal à concevoir le fait de travailler toute ma vie pour assurer une période de celle-ci où je ne serais peut-être plus assez… vivante. Plus d’argent ? Eh bien, j’irais vivre dans un petit village en bord de mer à me nourrir de fruits et de poissons fraîchement pêchés. Ça, c’est un vrai projet de retraite. En plus, je n’aurais pas graissé au passage les revenus d’institutions financières souvent promptes à recevoir votre épargne mais peu à vous épargner des soucis en cas de difficultés passagères. Surtout si vous êtes une mère célibataire monoparentale (bip), locataire (bip, bip) et travailleure autonome (bip, bip, bip)…

14 août 2014

Robin Williams, la dépression et... Gilbert Rozon

Toute aussi triste qu’inattendue, la mort de l’acteur et humoriste Robin Williams a frappé l’imaginaire, et les messages empathiques se répandent depuis sur les réseaux sociaux. Certains, trop enclins à démontrer leur grand cœur et partager leurs bons sentiments (oui, vous pouvez lire ici une pointe d’ironie) se sont toutefois mélangés les pinceaux en le confondant avec le chanteur britannique Robbie Williams.

Au-delà de la mort de l’artiste, beaucoup de choses ont été dites, redites et trop relayées par nos médias – y compris la sérieuse Radio-Canada – autour des circonstances tragiques entourant son départ.

Se pourrait-il donc que certains journalistes ou rédacteurs en chef n’aient pas suffisamment de sujets à traiter pour décider de gonfler au maximum une nouvelle ? Il semble bien que oui. Car le cas de Monsieur Williams, acteur et humoriste, leur a ouvert toute grande la porte pour se pencher sur LA question : nos humoristes sont-ils en danger ?

Comme le titrait si bien cet article de Lapresse.ca, la détresse qui se terrerait derrière l’humour est devenue en un rien de temps le sujet de l’heure. Et pour lancer le débat, quoi de plus pertinent que de faire appel, notamment, au grand manitou du rire au Québec, Gilbert Rozon, quitte à le déranger, si j’ai bien compris, pendant ses vacances en Écosse. Toute une réflexion de fond, vous ne trouvez pas ?

Certes, rire haut, fort ou gras, c’est bon pour le moral et la santé. Toutefois, ce n’est pas parce qu’on rit que c’est toujours drôle. Pour ma part, j’ai vraiment commencé à rire jaune au fil des chroniques de certains médias. TVA Nouvelles a même poussé la bêtise jusqu’à diffuser en primeur que même le gorille Koko pleure Robin Williams – image à l’appui ! Oui, monsieur ! Comme le souligne une personne dans un commentaire, je cite : «Si on en est rendus à se demander ce qu'un gorille pense de la situation, les médias doivent avoir fait le tour »… 

Qu’est-ce qui s’est passé pour que l’on soit descendus aussi au ras les pâquerettes en termes de contenu médiatique et de conversation, cette fois-ci autour de la disparition d’une vedette dont on se foutait bien de la santé mentale jusqu’au jour fatidique ? Mais oui, bien sûr, parce que c’est un humoriste ! En effet, en plus de la bouffe et des chroniques/émissions de cuisine ou d’alimentation et de la météo, l’humour n’est-il pas l’autre moteur de la société québécoise ? Pas étonnant alors que l’on s’inquiète d’une éventuelle détresse chez nos humoristes. Tout se tient.

Pourtant, on aurait pu choisir de traiter la nouvelle de la disparition de monsieur Williams pour rappeler ce qu’est la dépression et, pourquoi pas, amorcer le début d’une réflexion sur notre perception collective du bonheur. Car la stupéfaction qu’un grand nombre d’entre nous a ressentie et certains commentaires publiés démontrent à quel point les notions de dépression ou de mal être ne sont pas encore bien comprises. « Voyons donc, un homme qui avait du succès, de la reconnaissance, de l’argent, une famille, ça ne peut pas sombrer comme ça ! » teinte ainsi le fond de la pensée de plusieurs d’entre nous. Réaction tout à fait normale dans une société devenue hyper matérialiste où chaque individu est associé à ce qu’il possède (objets, profession, loisirs, argent, nombre d’amis, relations amoureuses, etc.) et qui le distingue donc forcément des autres. Le réseau social Facebook matérialise parfaitement la dynamique humaine basée sur une perception instantanée de l’autre par le biais de son image sociale. Si on pouvait un jour réaliser qu’être riche, ce n’est pas avoir beaucoup, c’est avoir besoin de peu… Je n’ai pas dit « rien ». Si l’argent ne fait pas le bonheur, il y contribue quand même, on est certainement bien d’accord là-dessus.

Ne pensez-vous pas qu’il serait temps de ré-apprivoiser l’art de la conversation. Un simple « ça va ? » lancé sans y penser ne suffit pas à entrer en contact. Combien de fois nous arrive-t-il de ne pas prendre la peine d’attendre ou d’écouter la réponse de l’autre pour mieux poursuivre notre chemin ?

L’humoriste (encore !) Anne Roumanoff, dans un de ses sketchs, lance la phrase suivante (en référence à l’utilisation continue d’un téléphone intelligent) : « à force d’utiliser ton appareil, tu te rapproches des gens qui te sont loin et tu t’éloignes de ceux qui te sont proches. ». Il est bien facile et pratique, certes, de faire le procès de ces technologies modernes, il n’en demeure pas moins que la civilité et la considération désertent de plus en plus nos relations humaines (cf. si vous cherchez un emploi, vous avez certainement de beaux exemples à partager).

Comme il est impossible de tout changer à la fois, je suggère que nous réfléchissions à notre relation à l’apparence. Car tout n’est que jeux de masques dans toutes les sphères de la vie : ne pas paraître faible, ne pas être en difficulté financière, ne pas vivre seul, ne pas prendre de vacances (ça paraît bien auprès du boss), ne pas embêter les autres avec nos soucis au risque de devenir toxique et de se faire jeter comme un déchet, surtout ne pas pleurer, rester fort, être le plus souvent possible de bonne humeur, faire du sport (de haut niveau, c’est mieux), sembler jeune (le plus longtemps possible), avoir les meilleurs plus beaux enfants du monde, intelligents et bien élevés avec des prénoms originaux si possible, posséder le dernier gadget disponible sur le marché, avoir un magnifique chien, etc.

Comment peut-on alors avoir un contact authentique avec les autres ou plus encore, comment déceler chez eux la moindre once de tristesse ou de mélancolie ?

C’est ça un vrai débat de société, et ça englobe bien entendu nos humoristes bien-aimés. Ça vous tente d’y participer, dans la joie et la bonne humeur bien sûr ?