Certaines personnes n’ont jamais quitté leur maison
d’enfance en succédant ainsi à leurs parents et parfois même à leurs grands-parents.
J’en connais, vous en connaissez certainement. Je doute qu’à Montréal, on en
trouve beaucoup si l’on considère sa journée officielle du déménagement ancrée
depuis bien longtemps dans le calendrier. Ainsi, chaque 1er juillet,
on assiste à un mouvement de migration urbaine qui s’achève par le spectacle de
vieux meubles et de détritus en tous genres sur les trottoirs, quand ce n’est
pas hélas des chiens, des chats ou autres animaux de compagnie laissés sur le
carreau.
En ce qui me concerne, il y a belle lurette que j’ai
quitté ma maison d’enfance. Et si j’y pense bien, c’est au Québec que j’ai vécu
le plus longtemps au même endroit. Le gène de la bougeotte, ce sont mes parents
qui me l’ont transmis. Les premières années de ma vie, je les ai passées avec eux
dans une caravane qui se déplaçait au gré des chantiers routiers sur lesquels «
régnait » mon père. Je devais changer d’école tous les six mois. Puis vint un
temps, quand la famille se fut agrandie, où nous avons posé nos pénates dans
une vraie maison dans une petite ville située à l’extrême nord de la France
(pour que vous ne confondiez pas avec la Normandie, pensez au film Bienvenue chez les Ch’tis). Ce furent les
plus belles années de mon enfance ; je me souviens très bien de ces
mercredis sans classe où ma mère décidait sur un coup de tête de nous emmener,
mon frère, ma sœur et moi, à la plage. Ici, je parle de la mer du Nord réputée
plutôt pour son immense trafic maritime et sa pollution que pour son eau
turquoise.
Beaucoup plus tard, après un court transit en banlieue parisienne, j’ai réalisé
mon rêve de vivre dans un appartement à Paris intra-muros au prix d’un gros prêt
à la banque… Et puis l’amour s’est pointé le bout du nez sans crier gare. Vous
savez ce que c’est, quelque soit l’âge, on ne réfléchit pas trop et on vit de
bonheur et d’eau fraîche. Lui, attiré depuis toujours par l’Amérique du Nord,
n’a donc pas eu grand mal à me convaincre de le suivre dans une grande aventure
au Canada, même s’il fallait abandonner travail, appart, amis et famille. Dès lors,
le compte à rebours a commencé en vue du grand déménagement. Pendant un an,
nous avons fait les démarches nécessaires (même une visite médicale pour
vérifier que nous n’avions pas la syphilis) pour obtenir notre statut de
résident permanent. Que nous avons obtenu tous les deux fort heureusement, car ce
n’était pas gagné d'avance. Nous avons tout vendu, dit au revoir une dernière fois à nos
proches et à nos amis. À ce stade-là, plus question de faire marche arrière.
La veille de notre départ, les bagages bouclés, les papiers en règle et la cage
de transport pour notre chat prêts au grand départ, la panique nous a saisis
tous les deux avec un gros doute et la désagréable impression d’avoir fait la
plus grande gaffe de notre vie. Aux
petites heures du matin, vint pourtant le moment de fermer les portes derrière nous.
Le 9 juillet 1995, nous débarquions à Montréal. Il
faisait très chaud. Après d’interminables vérifications au bureau d’immigration
et au service vétérinaire, nous avons enfin réellement mis les pieds sur le sol
québécois. Direction l’hôtel Taj Mahal (qui acceptait les animaux) situé au
Terminus Berri où nous avions réservé trois nuits, le temps de nous trouver un
logement.
Je vous parlais plus tôt de grande aventure ? Elle le
fut vraiment…
Premières acquisitions: un vélo pour lui et un pour moi.
Nous avons visité les différents quartiers de Montréal et oui, nous avons
atterri dans un 4 ½ sur le Plateau. Pas par prétention (puisque nous ne savions
rien de la réputation du quartier; seules la beauté de ses rues et la proximité
de toutes sortes de commerce ont penché dans la balance). Imaginez, à l’époque,
nous avons réussi à louer un appartement sans avoir d’emploi, ni mon conjoint
ni moi ! Je ne suis pas certaine que ce soit encore possible aujourd’hui.
Comme nos meubles étaient en route dans un container embarqué sur un bateau, nous
avons emménagé et vécu les premières semaines de notre nouvelle vie dans un
appartement vide. Heureusement, le concierge de l’immeuble, d’origine
péruvienne et qui en avait certainement vu d’autres, nous a gentiment prêté un vieux
matelas (oui, oui, nous avons dormi dessus sans hésiter ; là encore, je ne suis pas
certaine que je ferais la même chose aujourd’hui), un canapé dans lequel, en
revanche, je n’ai jamais posé mes fesses considérant son état de délabrement. Enfin,
et non des moindres, une télévision noir et blanc 13’’ que nous avons installée
dans un coin du salon… vide. Entretemps, nous avions acheté un
transistor. Le luxe, quoi !
À la télé, nous regardions régulièrement les épisodes de La p’tite vie. Je ne cacherai pas qu’il
fallait tendre un peu plus l'oreille pour être sûrs de bien comprendre. À la
radio, je me souviens très bien de ces tribunes téléphoniques de sport animées
par Ron Fournier. Rien de tel pour plonger dans la culture de votre pays
d’adoption. Ça m’a certainement bien servi puisque je n’ai jamais eu de
difficultés à comprendre qui que ce soit. Il faut dire que les tonalités du
pays des Ch’tis ont quelques
ressemblances avec celles du Québec.
Bref, c’était ma petite séquence souvenirs. D’habitude,
quand je débute mes phrases par « je me souviens », c’est que je suis un peu
pompette. Je vous promets d’avoir écrit ce texte avec toutes mes
facultés.
Sur ce, bon déménagement à ceux et celles qui « migrent » cette
année !
Il n’est rien de constant
si ce n’est le changement – Bouddha