La laïcité est essentielle et non négociable.
Qu’elle soit formatée sous le sceau d’une charte ou d’une loi. Et tout
accommodement sur la seule base de la religion (quelle qu’elle soit) doit être
rejeté. C’est là mon avis.
Toutefois, enrober un projet de charte de
saveurs nationaliste et discriminatoire est irresponsable de la part de politiciens
qui se targuent de vouloir construire un pays bâti sur des valeurs
rassembleuses.
Fût-ce un projet du Parti libéral, d’Option
nationale ou de Québec solidaire, mon opinion serait la même. Or, c’est le Parti
québécois qui en est à l’origine. C’est donc à ses maîtres d’œuvre que je
m’adresse :
Pourquoi avoir intentionnellement attisé
l’atteinte à l’intégrité d’un groupe en particulier de la population immigrante
? Il aurait été avisé de proposer (et d’en prendre) un cours 101 sur les
préceptes du Christianisme, du Judaïsme, de l’Islam, du Bouddhisme ou encore de
l’Hindouisme. Plutôt que de faire des raccourcis, l’ensemble de la population
(et j’en suis) aurait été plus en mesure de se faire une idée sur les différentes
confessions au sein des communautés qui forment dorénavant la société
québécoise. On aurait peut-être évité les éternels amalgames. Être musulman
n’est pas forcément être Arabe. Et un musulman n’est pas forcément un
intégriste en devenir…
Pourquoi ne pas avoir insisté sur la
distinction entre la religion et le fanatisme religieux ? Certes, une charte pourrait
être un outil pour un mieux-vivre ensemble, et je suis certaine que la majeure
partie des immigrants serait d’accord avec sa mise en pratique. En revanche, le
fanatisme est selon moi un détournement radical « religio-géo-politico »
qu’aucune charte ne peut réellement contrôler. Que ce soit un Anders Behring
Breivik en Norvège, les auteurs d’origine tchétchène des attentats de Boston ou
ceux du World Trade Center à New York en septembre 2001, il me semble bien
qu’aucun d’entre eux ne portait de signes ostentatoires présumant de risques
terroristes. Et puis, quand on y pense bien, les populations qui paient souvent
le prix du fondamentalisme musulman ne sont pas de ce côté-ci de l’Atlantique. Si
certaines de ces populations ont eu le courage de se soulever pour retrouver un
espace démocratique lors du printemps arabe que nous avons été nombreux à
admirer, pourquoi se fait il que, par ici, on fasse planer une menace
intégriste imminente ?
Pourquoi ne pas avoir rappelé le fait qu’il y a
243 430 de personnes (dont environ 100 000 femmes) qui se déclarent musulmanes
au Québec, soit 3 % seulement de la population (recensement 2011 de Statistique
Canada). Khadija Darid, fondatrice de Espace féminin arabe, estime qu’environ
une musulmane québécoise sur cinq porte le foulard. Ce qui veut dire
environ 20 000 femmes voilées (on voit le visage) au total. De ce nombre,
moins de 5 % travaillent pour l’État, ce qui veut dire 1 000 femmes potentiellement voilées dans la
fonction publique.
Pourquoi ne pas avoir rappelé également à la
population que l’immigration au Québec et au Canada est une immigration de type
économique, ce qui signifie que les candidats sont sélectionnés (de plus en
plus rigoureusement) selon leur niveau d’éducation, de diplomation et de
parcours professionnel.
o
30 à 40
% des musulmans québécois ont des diplômes universitaires
o
60 %
d'entre eux ne sont jamais allés dans une mosquée
o 25 % disent s'y présenter de façon plus ou
moins récurrente
(source : Frédéric Castel, spécialiste de l’Islam)
(source : Frédéric Castel, spécialiste de l’Islam)
Or, les montées et les ravages de l’intégrisme religieux
trouvent souvent leur niche auprès de populations fortement défavorisées et non
éduquées. Je ne crois donc pas que les menaces intégristes soient réellement à
nos portes ou sur le point de déstabiliser les ordres politique et social du
Québec, tel que le prédisent certaines personnalités publiques. Aussi, à ce que je sache, on ne fait pas face
à une arrivée massive de milliers de migrants désespérés de Syrie, d’Éthiopie
ou du Soudan qui fuient la misère et la violence pour se réfugier en Europe. Pour
une aussi petite population que la nôtre et avec les moyens dont on dispose, il
est certainement aisé de garder l’œil sur des pratiques que l’on jugerait
douteuses, non ? D’autant plus que s’il devait se fomenter des actes dangereux,
cela m’étonnerait que leurs auteurs choisissent le territoire du Nunavut. Ça
réduit encore plus l’espace de surveillance.
Enfin, pourquoi avoir utilisé le projet de charte
à des fins électoralistes ? Cette récente sortie du ministre Drainville entouré
de femmes laïques originaires du Maghreb était à vomir tant elle faisait acte
de propagande. Où étaient donc toutes ces femmes que l’on accepte soudainement
dans les rangs du parti majoritairement « blanc » ? Ces femmes dont je respecte totalement les
convictions ne voient-elles pas qu’elles sont des figurantes derrière un
ministre qui, derrière son micro, attise la naissance d’un nouveau clivage
(grave) dans la population québécoise ? Quant à l’excuse de l’égalité
hommes-femmes pour appuyer l’urgence de la charte, rappelons qu’elle n’existe même
pas dans la fonction publique et parapublique au Québec. Dans un billet intitulé « Une gifle pour les femmes » publié récemment sur le Huffington Post Québec, Richard Perron, président du Syndicat de
professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) y va ainsi
d’un triste constat. On peut lire, je cite, « parmi les membres que je
représente, six emplois occasionnels sur dix sont occupés par des femmes. Par
contraste, les hommes occupent 57% des emplois professionnels les mieux
rémunérés. Si j'avais un esprit machiavélique, je serais porté à croire que
l'État reproduit la discrimination systémique envers les femmes en offrant
moins que le privé ». Et puis, comment savoir si ces restrictions dans la
fonction publique ne vont pas imprégner le secteur privé où certains dirigeants
se donneront toute la légitimité pour écarter encore plus facilement des
candidats et candidates issus de l’immigration ? Déjà qu’il y a une
discrimination à l’emploi…
Des réponses seraient vraiment très
appréciées.