14 avril 2014

Les partis politiques ont-ils encore leur place ?

« Un parti, c'est un « blindage », une armure où il n'y a plus de débats. » pouvait-on lire dans un article publié dans le Nouvel Observateur intitulé Stéphane Hessel : son dernier débat avec Daniel Cohn-Bendit.

Aussi, « un parti, c'est un système refermé sur lui-même, hermétique à ce qui se passe dans la société. ».

Je suis totalement d’accord avec ces énoncés.

« La politique, ça ne m'intéresse pas », « j'y comprends rien », « tous des corrompus » sont là des affirmations que l’on entend bien (trop) souvent. Comme une sorte de capitulation devant un système qui semble inébranlable tel un vieil arbre. Une analogie que j'oserais faire pour décrire nos vieux partis que sont le Parti Québécois et le Parti libéral du Québec qui s’échangent le pouvoir au rythme des élections depuis (trop) longtemps. Essoufflés et dépassés par l’évolution de la société québécoise, ils se contentent de vagues de popularité et s'empêtrent dans leurs propres contradictions ou répétitions.

Alors, on continue de patauger dans un marasme ambiant.  Plutôt que l’actualité ou la culture, le divertissement est devenu l'opium du bon peuple. Ce bon peuple qui a de plus en plus la vie dure dans sa course folle à gagner son pain quotidien... Alors, il faut bien le divertir. Lui donner du rêve. Le cerveau au ramolli, on se laisse gaver d'images. On devient incapables de discerner le vrai du faux, l'essentiel de l'inutile. On carbure à l'information spectacle qui nous donne l'impression d'être suffisamment au courant ou à jour. Surtout ne pas (r)éveiller notre pensée ou notre sens critique. Et le pire dans tout ça, c'est que l'on guide nos enfants vers cette même tendance à la paresse intellectuelle. Avec de tels modèles, nul doute qu'ils carbureront eux aussi à la passivité et adopteront sans se poser de questions ce statut de spectateurs dociles plutôt que d'acteurs engagés.

Alors, je vous propose ceci : si on se retrouvait autour d’un bon repas avec une bonne bouteille de vin et on refaisait le monde. Ça vous tenterait ? Bien entendu, il va être un peu difficile de réconcilier les perdants et les gagnants de la dernière élection. Mais, vous serez d’accord avec moi, il  est temps de passer à autre chose, non ? Il est temps de cesser de démoniser les autres, les traîtres, ceux qui ne sont pas dans notre camp. Car il n’y a pas de bons et de mauvais « voteurs ». Pour ma part, je ne pense pas que les Québécois ont voté pour le Parti libéral. C'est une insulte à l'intelligence de nos concitoyens que de penser qu'ils sont si idiots à ce point pour réélire un parti qui avait laissé un goût si amer. Les Québécois ont surtout voté contre l'autre grand parti en lice dont les deux chevaux de bataille (charte et référendum) ne s'inscrivaient pas comme des projets de société inspirants. Ou pour toute autre option sans trop de conviction. Quelque soit le camp dans lequel on est, vainqueur ou battu, c'est une claque pour la démocratie.

Et puis, on l’a assez répété, le résultat est la conséquence d'une campagne immonde et bâclée. Depuis au moins cinq ans, le Québec est en dépression nerveuse et se cherche une identité ou tout au moins une place. Je crois sincèrement que le PQ est le seul responsable de sa propre chute tant à cause du choix des hurluberlus qui entouraient madame Marois (Lisée, PKP et surtout Drainville qui s'est couvert de ridicule lors du « discours du trône ») que par sa campagne de peur (du Canada, des étrangers, de la langue anglaise). Même si je ne suis absolument pas nationaliste, je pense qu'un pays se crée avant tout sur des fondements de fierté, d'accomplissement et de vision d'un avenir collectif plutôt que sur des regrets, des ressentiments et du repli sur soi.

Prenons par exemple la pérennité de la langue française.  Elle n'est nullement une question d'allégeance politique comme semblent le prétendre le PQ. Qu'importe le gouvernement au pouvoir, elle est en déclin et en perdition depuis de très nombreuses années. À Montréal, le bilinguisme est requis pour presque tous les postes quand ce n'est pas la maîtrise des deux langues tant à l'oral qu'à l'écrit. S'inquiéter maintenant est déjà trop tard. C'est dès le primaire que le niveau adéquat de maîtrise du français doit être atteint par une rehausse des exigences et un retour à la création littéraire (lecture et écriture). Car des lacunes dès cet âge seront irréversibles jusqu'à l'arrivée à l'université ou sur le marché de l'emploi.

Bref, je suis de plus en plus convaincue que les partis politiques tels qu'on les connaît avec leur chef(f)e et leurs lignes de parti sont obsolètes et déconnectés de la réalité. La place n’est plus aux luttes de pouvoir entre des chefs, aux squelettes sortis du placard, aux jacasseries en tous genres. Ça tourne au ridicule et ça enlève les lettres de noblesse à l’art politique, le vrai. Je prône une politique plus locale avec un renforcement de l’autonomie des villes. Ce sont elles qui offrent une proximité avec les citoyens et qui permettent une mobilisation et une participation collective. Dans notre contexte actuel, les paliers décisionnels entre les systèmes provincial et municipal sont trop nombreux, trop compliqués, trop onéreux. « Less is more » comme dirait l’autre.

Ah, que j'aurais aimé avoir vingt ans dans les années 70. L’époque était aux projets, à l’espoir ; tout était possible. Aujourd’hui, on voit s’écrouler ce qui a été construit. Aux plus jeunes générations, on ne parle pas de construction mais de reconstruction. On ne fait pas miroiter des projets mais plutôt des problèmes de société ou des peurs du lendemain. Enfin, si l’on en croit les propos de désillusionnés ou de fous de pouvoir (vous voyez de qui je parle…).

Pour ma part, je ne les écoute plus. Je préfère me tourner vers ceux et celles qui rêvent et qui créent sur le terrain. C'est là que l'on bâtit vraiment.

08 avril 2014

Le Rwanda que j'ai connu en 2007


Certains d'entre vous reconnaîtront peut-être certains passages d'un billet écrit il y a deux ans. Dans le cadre de la commémoration du 20e anniversaire du génocide rwandais, j'ai eu envie de me replonger et de vous plonger dans de beaux souvenirs.

Ainsi, en 2007, je me suis rendue avec des collègues et amis au Rwanda pour construire une école dans la ville de Gisenyi, dans le Nord-Kivu, à la frontière du Congo ; le soir venu, on pouvait voir au loin Goma. On n'est jamais vraiment préparés à un voyage en Afrique, particulièrement dans un de ses pays qui a vécu des horreurs que seul l’humain est capable de faire.

Il est bien difficile de répertorier les grands événements tragiques de ce monde selon une échelle de gravité. Ainsi, je n’ai pas connu les événements de la Seconde Guerre mondiale. En revanche, mes nombreux cours d’histoire et le visionnement à un jeune âge de séries télévisées sur l’Holocauste m’ont profondément traumatisée. Tellement que je suis incapable de regarder des images aujourd’hui. Le génocide du Rwanda en 1994 ou encore les événements en Bosnie-Herzégovine, dont le massacre de Srebrenica en 1995, m’ont eux particulièrement hantée car je m’y suis plus facilement identifiée. Ainsi, dans nos villes et villages, on peut s’entretuer entre amis, connaissances ou voisins. Un jour, on vit ensemble, un autre, on se hait.

Mais je reviens à mon expérience au Rwanda qui a bien failli finir plus vite que prévu. Pour la petite histoire, à l’époque, je n’étais pas encore citoyenne canadienne. Je devais donc obtenir un visa spécial. Nous partions un jeudi soir. Or, j'étais encore à Ottawa le mercredi pour tenter d'obtenir ce fameux papier à l’Ambassade du Rwanda. Hélas, sans succès en raison de délais administratifs. Je décide de partir quand même car il semblait que je pouvais obtenir mon visa à l'aéroport de Kigali.

Après une trentaine d'heures de voyage (transit par Londres et Nairobi), nous arrivons enfin à destination. Mes amis passent les contrôles aux douanes sans problème. Pas moi. Je dois rencontrer le superviseur. Je le vois au loin, un mastodonte. Celui-ci me fait signe d'approcher. Je ne sais pas si c'est la fatigue, l'émoi d'avoir posé le pied sur la terre africaine ou mon intimidation face à lui, mais j'ai fait une chose qu'il ne faut jamais faire : j’ai menti.

Candidement, me voilà en train de lui dire : « oh, mais je ne savais pas qu'il fallait un visa… ». Et lui de me répondre : « Vous êtes certaine de ne pas avoir entrepris de démarches pour en obtenir un ? ». Vous avez certainement déjà ressenti cette impression de tomber dans un trou. Je devais être aussi livide qu’il était noir. Car je venais de comprendre que ma demande de visa avait eu le temps de faire son chemin pendant que j'étais dans les airs…

Bref, ils ne m'ont pas remise d'office dans l’avion, et j'ai docilement payé mon visa d’entrée (60 dollars). Bon, dans l'énervement, je n'en ai donné que 55, mais je vous jure que je ne l’ai pas fait exprès. Ni ce qui suit non plus. Alors que je récupérais enfin mes bagages avec un grand soupir de soulagement, une alarme s'est enclenchée. L'un de mes billets américains était faux...

Cela aurait pu augurer un séjour catastrophique. Ce fut tout le contraire. Pendant plus de quinze jours, nous avons travaillé d’arrache-pied avec les habitants d’un village dans une ambiance de découverte des uns et des autres. Pour eux, nous étions des Blancs, des Muzungus. Des êtres différents et même un peu bizarres. Et ces villageois n’avaient jamais vu un Blanc travailler, encore moins à leurs côtés. Au fil des jours, une collaboration s’est développée entre rires, regards et charabia pour tenter de se comprendre car nos nouveaux « collègues » parlaient principalement le kinyarwanda. Ensemble, nous avons produit à mains nues des centaines de blocs de ciment, nous avons aussi porté des centaines de pierres - petites, grosses ou énormes - et construit cette école.

Il y a quand même eu quelques ombres à ce tableau idyllique. Même si le Rwanda fascine autant par son peuple chaleureux, accueillant et résilient que par ses paysages aux mille et une beautés, sa terre est le repos éternel de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Là, là et peut-être là aussi… Pour ma part, un objet me donnait particulièrement froid dans le dos : la machette, cet outil de travail pour bon nombre de villageois. Dès que j'en voyais une, je ne pouvais m’empêcher de me poser des questions. Où était cette machette en 1994 ? A-t-elle servi comme arme de guerre ? A-t-elle fait couler beaucoup de sang ?

Aussi, nous avons regardé le film “Shooting Dogs” (Larmes d’avril au Québec) relatant l’abandon du Rwanda par la communauté internationale. Jusque là, jamais je n’avais vu de films sur cette tragédie. Pas besoin d’images pour saisir l’horreur. Dans la salle de visionnement, des camarades rwandais ont regardé le film avec nous. Certains sont Tutsis, d’autres Hutus. Jamais, nous ne pouvions vraiment savoir qui était quoi. Même si la paix était revenue, le sujet était encore tabou. Peut-être était-ce parce que j’étais la seule Européenne du groupe mais le film a été un choc total pour moi. Comme si je portais sur mes épaules tout le poids de la honte de mon pays d’origine. J'avais aussi presque l’impression de reconnaître certains endroits devenus familiers depuis quelques jours…

Deux ans plus tard, nous avons reproduit l’expérience en République démocratique du Congo cette fois. Là où un autre carnage se déroule depuis des années dans l’indifférence générale.

2014 marque le vingtième anniversaire du génocide du Rwanda. Nous pouvons être admiratifs de sa renaissance. Mais nous avons aussi un devoir de mémoire et de réflexion sur le silence de la communauté internationale qui a prévalu. Plus jamais ça.

Si cela vous intéresse, vous pouvez voir des images de ces deux séjours en Afrique sur www.afrik.ca.