30 mai 2014

Bébé Victoria ou la dérive de nos médias

Vous allez peut-être me trouver sans cœur en lisant les premières lignes de mon billet. Sans cœur car j’ai choisi un événement qui a bouleversé le Québec pour développer mon propos, soit l’enlèvement du bébé à l’hôpital de Trois-Rivières. Or, sachez que j’ai un cœur gros comme ça et j’imagine bien les heures d’angoisse qu’ont dû vivre les parents et leurs proches. Fort heureusement, le poupon a été retrouvé quelque trois heures plus tard.
Première constatation : pourquoi s’étonner toujours autant de l’impact des réseaux sociaux comme si on venait de découvrir leur existence ? Ils font pourtant partie de notre quotidien depuis pas mal d’années. De plus, leur raison d’être est d’être viral. Viral comme dans virus ; donc c’est sensé se propager rapidement, non ?

Deuxième constatation : avait-on vraiment besoin de publier une photo gros plan du bébé avec sa petite peluche ? Aurait-on pu respecter l’intimité et le soulagement des parents plutôt que de les jeter en pâture médiatique notamment avec cette entrevue dans leur chambre d’hôpital ? Déboussolés, j’imagine qu’ils n’ont pas vraiment eu toute la force nécessaire de repousser la horde de journalistes-vautours à leurs trousses. Quel exploit pour celui ou celle qui décrocherait LE scoop… (il faut dire que ces journalistes répondent à la commande de patrons empêtrés dans une quête de rentabilité avant tout, au détriment de la qualité).

Même Radio-Canada joue dorénavant le jeu de cette information voyeuriste, facile et rabâchée. Au lendemain de l’événement, du matin au soir, chaque bulletin d’information et plusieurs émissions notamment sur Ici Radio-Canada Première ont fait leurs choux gras avec la nouvelle. Plutôt que de revenir sur des faits désuets (le retour sur les événements) et des détails pour faire pleurer dans les chaumières, il aurait pourtant été opportun de se demander comment une jeune femme de 21 ans autrefois pimpante et pleine de vie en était-elle arrivée à commettre un tel acte (une sorte d’appel à l’aide ou même de suicide) gonflée à bloc de médicaments et de détresse ? Quel constat devrions-nous en tirer sur l’état de notre société ? Devrait-on revoir la prise en charge des personnes – de plus en plus nombreuses – aux prises avec des troubles mentaux ? Car, ne soyons pas dupes, il faut s’attendre à des actes de plus en plus violents.   

Un autre exemple de cette information sensationnaliste et voyeuriste ? L’accident de vélo de Pierre-Karl Péladeau. Pendant toute une journée, nous avons entendu le récit de sa chute et son bilan de santé officiel. Je comprends qu’il s’agit d’une personnalité publique mais de là à répéter ad nauseam qu’il allait bien et qu’il allait devoir se déplacer en fauteuil roulant, le pauvre, il y a des limites. Vous n’êtes pas d’accord ?

Je constate qu’une piètre qualité de l’information se répand de plus en plus dans nos médias. Un contenu de fond, rigoureux, instructif et enrichissant manque terriblement. Un constat qui me donne cette désagréable impression d’un repli sur notre petite collectivité et de vivre dans un vase clos où tout ce qui a de l’importance est cette information « fait divers » et la surexposition de sujets comme le sport, la météo et le divertissement.

Comment en sommes-nous arrivés à ce grand paradoxe du manque de choses à dire et de pensée unique dans un bassin de plus en plus grand de sources d’informations et d’ouverture sur le monde ? Comme je l’avais déjà mentionné dans un précédent billet, la concurrence entre Gesca et Quebecor y est certainement pour quelque chose avec leurs objectifs de rentabilité qui plombent la « liberté » de leurs journalistes, ceux-ci ayant la responsabilité de « produire de la nouvelle » – lire ici « micros-contenus écrits à partir d’infos lues, vues ou entendues » transférables sur les multiples plateformes. Pas vraiment le temps pour eux de faire du journalisme d’investigation. 

Doit-on s'inquiéter de cette homogénéisation des contenus médiatiques ? Très certainement d’autant plus que la « vérité » repose trop souvent dans ou entre les lignes et les dires d’un groupuscule de journalistes-chroniqueurs* comme je l’avais également déjà relevé. Quoique leurs interventions dans leurs billets d’opinion puissent être fort intéressantes, il n’en reste pas moins qu’elles sont le reflet de leurs PROPRES interprétations de l’actualité. On les approuve, on les rejette, on les critique. Mais est-ce suffisant pour développer une opinion et, dans un sens plus large, une culture générale ? J’en doute. Aussi, pensez-vous vraiment qu’il est possible de comprendre et de développer notre connaissance des enjeux géopolitiques mondiaux avec uniquement des segments sur le thème « le monde en bref » dans les télé-journaux ? Certes, vous me direz qu’il est toujours possible de trouver ailleurs d’autres sources d’information plus étoffée. Malheureusement, je ne crois pas que ce soit une initiative du plus grand nombre.

Certains pontes des médias (ici et ailleurs) diront qu’il faut donner à la populace ce qu’elle veut voir, entendre et lire. Mais comment peuvent-ils vraiment savoir ce qu’elle veut s’ils n’essaient pas autre chose ? Ben non, voyons, il est préférable de lui offrir, à cette populace, de la matière soporifique ; ça lui évite de trop penser et de se fatiguer. Et surtout de se questionner.

Attention, je ne suis pas contre du contenu plus léger que je « consomme ». Toutefois, considérant notre paysage médiatique fort petit, j’estime qu’il est primordial d’avoir au moins une référence fiable et de très grande qualité. Je pense que la Société Radio-Canada, dans le cadre de son mandat de diffuseur public, devrait jouer ce rôle. Malheureusement, elle a perdu de son lustre (je ne suis pas la seule à le penser), et s’est détournée de sa mission première pour s’accoter au style de ses concurrents. Alors que TVA ou V par exemple jouent parfaitement leur rôle, la Société Radio-Canada s’est, elle, véritablement égarée.

* Je ne suis ni journaliste, ni chroniqueure, ni professionnelle des médias. 

24 mai 2014

Nous avons perdu maman. Mais où ça ?

Lundi 5 mai, aux alentours de 14 heures. Je presse le pas dans la rue sur la Plaza Saint-Hubert, en route vers une petite séance d’acupuncture qui va certainement me faire le plus grand bien. Par habitude, je consulte mon cellulaire. Un texto de ma sœur attire mon attention :
Elle : peux-tu m’appeler assez rapidement ?
Moi : est-ce que je peux le faire dans 2 heures environ ?
Elle : c’est assez grave. Ce serait bien si tu pouvais m’appeler maintenant.

Avec une petite boule au ventre, je compose son numéro.

Elle : bonjour p’tite sœur, ça va ?
Moi : ça va, et toi ? Que se passe-t-il ?
Elle : on a perdu maman.
« Mais on l’a perdue où ? » a failli jaillir de ma bouche quand deux neurones se sont touchées pour me faire rapidement comprendre que je ne reverrai plus jamais ma mère. Étrange expérience que d’apprendre le décès d’un parent au beau milieu d’une rue parmi plein d’individus qui vous regardent sans trop vraiment vous voir, vous et votre boule au ventre remontée soudain à la gorge.
Comment annuler mon rendez-vous à la toute dernière minute fut ma première inquiétude qui peut paraître bien terre à terre. Finalement, je suis retournée chez moi en métro parmi d’autres individus que je croisais cette fois les yeux pleins de larmes. Petit à petit, je digérais un peu plus la nouvelle. Après le départ de mon père qui nous avait quittés il y a déjà longtemps, ma sœur, mon frère et moi nous retrouvions ainsi sans parents.
Pourquoi je vous raconte tout ça ? Peut-être parce que ça me permet d’évacuer ce profond sentiment de tristesse, même si ma maman n’a pas toujours été sympa ni cool. À une certaine époque, elle m’a même fait tellement suer que je lui ai raconté que je n’avais plus de téléphone. Et comme elle n’était pas connectée sur Internet, elle n’avait plus la possibilité de communiquer avec moi. J’allais être enfin tranquille. Elle aurait pu venir me voir ? Encore eut-il fallu qu’elle se décide à faire le voyage. Car, voyez-vous, ma maman et moi habitions à 7 000 kilomètres l’une de l’autre. Je vous raconte peut-être tout ça pour également évacuer ma peine de ne pas être allée la voir comme je désirais le faire depuis quelque temps. Mais vous savez ce que c’est, on reporte si facilement. La distance ou le prix des billets étaient-ils de bonnes excuses ? Bien sûr que non. Surtout que je n’avais pas vu ma mère depuis plus de dix ans, tout comme le reste de ma famille d’ailleurs. Il aura fallu ce coup de fil fatidique pour m’obliger à dénicher ce foutu billet d’avion et retrouver les miens…
Ce sentiment d’éloignement que ressentent tous ceux et celles qui vivent loin de leur terre d’origine, qu’elle soit à Paris, à Kaboul ou à Alma, je l’avais enfoui au fil des ans parce que ma vie, elle se faisait ici. J’avais appris à renier mon pays d’origine à force d’entendre qu’on était donc bien au Québec (c’est vrai) alors qu’en France, les gens sont arrogants et râleurs et, en plus, c’est la grosse crise économique. La preuve, ils débarquent en masse (c’est vrai aussi).
Mon retour « forcé » en France m’a fait réaliser que la famille, qu’elle soit idéale ou bancale, reste toujours le point d’ancrage de notre histoire. J’avais cru pouvoir m’en libérer en partant loin, loin, loin, et, surtout, en choisissant de faire comme si elle existait plus ou moins. Deux pays, deux cultures, deux gros chapitres du livre de ma vie que j’ai rendue morcelée. Le déracinement, choisi ou pas, est aussi un exil intérieur. 
Cela fait près de vingt ans que j’ai débarqué au Québec. J’ai toujours pensé qu’il était préférable d’effacer plus ou moins mon identité française pour mieux m’intégrer à ma société d’accueil. Pour être mieux acceptée. C’est une erreur. On n’est jamais vraiment d’ici et on n’est plus tout à fait de là-bas… C’est normal et il faut l’accepter. Malgré mon statut de « vieille » immigrante, on me demande encore et très souvent si j’habite ici ou je suis une touriste. Ce statut d’apatride m’a toujours convenu jusqu’à ce jour. Or, le départ de mon aïeule a ébranlé mes certitudes.  Comme si ce cordon qui vient d’être coupé si rapidement laissait place à une bizarre impression d’avoir perdu le dernier lien avec mon pays d’origine. 
À moins que ce ne soit le signe ultime qu’il est temps d’envisager un nouveau mouvement, qui sait. Il est vrai que tout ça arrive à une période de ma vie où je me pose beaucoup de questions. Est-ce là que je veux et que je dois être ? Cette vie est-elle faite pour moi ? Où vais-je ? On appelle cela la crise du milieu de vie paraît-il… Mon identité flottante entre deux eaux n’est certes pas de tout repos d’autant plus que mon avenir à Montréal semble morose depuis quelque temps tant le marché du travail dans mon domaine est saturé ; aussi, l’amour avec un grand A ne semble pas vouloir non plus frapper à ma porte. Vous allez me dire que, quelque soit l’endroit où l’on vit, une traversée du désert est difficile. Envisager de partir ne serait-il donc pas une fuite en avant ? Peut-être. Mais Bouddha disait aussi « il n’est rien de constant si ce n’est le changement ». Alors, se pourrait-il que je largue de nouveau les amarres de mon port d’attache actuel ? Qui le sait vraiment. Une chose est certaine, je ne laisserai plus filer autant le temps avant de revoir les gens que j’aime. Même s’ils sont loin.

Ma mère aurait eu 65 ans ce 25 mai, jour de la Fête des mères en France. Il y a des hasards dont on se passerait bien. Bonne fête, maman.