14 août 2014

Robin Williams, la dépression et... Gilbert Rozon

Toute aussi triste qu’inattendue, la mort de l’acteur et humoriste Robin Williams a frappé l’imaginaire, et les messages empathiques se répandent depuis sur les réseaux sociaux. Certains, trop enclins à démontrer leur grand cœur et partager leurs bons sentiments (oui, vous pouvez lire ici une pointe d’ironie) se sont toutefois mélangés les pinceaux en le confondant avec le chanteur britannique Robbie Williams.

Au-delà de la mort de l’artiste, beaucoup de choses ont été dites, redites et trop relayées par nos médias – y compris la sérieuse Radio-Canada – autour des circonstances tragiques entourant son départ.

Se pourrait-il donc que certains journalistes ou rédacteurs en chef n’aient pas suffisamment de sujets à traiter pour décider de gonfler au maximum une nouvelle ? Il semble bien que oui. Car le cas de Monsieur Williams, acteur et humoriste, leur a ouvert toute grande la porte pour se pencher sur LA question : nos humoristes sont-ils en danger ?

Comme le titrait si bien cet article de Lapresse.ca, la détresse qui se terrerait derrière l’humour est devenue en un rien de temps le sujet de l’heure. Et pour lancer le débat, quoi de plus pertinent que de faire appel, notamment, au grand manitou du rire au Québec, Gilbert Rozon, quitte à le déranger, si j’ai bien compris, pendant ses vacances en Écosse. Toute une réflexion de fond, vous ne trouvez pas ?

Certes, rire haut, fort ou gras, c’est bon pour le moral et la santé. Toutefois, ce n’est pas parce qu’on rit que c’est toujours drôle. Pour ma part, j’ai vraiment commencé à rire jaune au fil des chroniques de certains médias. TVA Nouvelles a même poussé la bêtise jusqu’à diffuser en primeur que même le gorille Koko pleure Robin Williams – image à l’appui ! Oui, monsieur ! Comme le souligne une personne dans un commentaire, je cite : «Si on en est rendus à se demander ce qu'un gorille pense de la situation, les médias doivent avoir fait le tour »… 

Qu’est-ce qui s’est passé pour que l’on soit descendus aussi au ras les pâquerettes en termes de contenu médiatique et de conversation, cette fois-ci autour de la disparition d’une vedette dont on se foutait bien de la santé mentale jusqu’au jour fatidique ? Mais oui, bien sûr, parce que c’est un humoriste ! En effet, en plus de la bouffe et des chroniques/émissions de cuisine ou d’alimentation et de la météo, l’humour n’est-il pas l’autre moteur de la société québécoise ? Pas étonnant alors que l’on s’inquiète d’une éventuelle détresse chez nos humoristes. Tout se tient.

Pourtant, on aurait pu choisir de traiter la nouvelle de la disparition de monsieur Williams pour rappeler ce qu’est la dépression et, pourquoi pas, amorcer le début d’une réflexion sur notre perception collective du bonheur. Car la stupéfaction qu’un grand nombre d’entre nous a ressentie et certains commentaires publiés démontrent à quel point les notions de dépression ou de mal être ne sont pas encore bien comprises. « Voyons donc, un homme qui avait du succès, de la reconnaissance, de l’argent, une famille, ça ne peut pas sombrer comme ça ! » teinte ainsi le fond de la pensée de plusieurs d’entre nous. Réaction tout à fait normale dans une société devenue hyper matérialiste où chaque individu est associé à ce qu’il possède (objets, profession, loisirs, argent, nombre d’amis, relations amoureuses, etc.) et qui le distingue donc forcément des autres. Le réseau social Facebook matérialise parfaitement la dynamique humaine basée sur une perception instantanée de l’autre par le biais de son image sociale. Si on pouvait un jour réaliser qu’être riche, ce n’est pas avoir beaucoup, c’est avoir besoin de peu… Je n’ai pas dit « rien ». Si l’argent ne fait pas le bonheur, il y contribue quand même, on est certainement bien d’accord là-dessus.

Ne pensez-vous pas qu’il serait temps de ré-apprivoiser l’art de la conversation. Un simple « ça va ? » lancé sans y penser ne suffit pas à entrer en contact. Combien de fois nous arrive-t-il de ne pas prendre la peine d’attendre ou d’écouter la réponse de l’autre pour mieux poursuivre notre chemin ?

L’humoriste (encore !) Anne Roumanoff, dans un de ses sketchs, lance la phrase suivante (en référence à l’utilisation continue d’un téléphone intelligent) : « à force d’utiliser ton appareil, tu te rapproches des gens qui te sont loin et tu t’éloignes de ceux qui te sont proches. ». Il est bien facile et pratique, certes, de faire le procès de ces technologies modernes, il n’en demeure pas moins que la civilité et la considération désertent de plus en plus nos relations humaines (cf. si vous cherchez un emploi, vous avez certainement de beaux exemples à partager).

Comme il est impossible de tout changer à la fois, je suggère que nous réfléchissions à notre relation à l’apparence. Car tout n’est que jeux de masques dans toutes les sphères de la vie : ne pas paraître faible, ne pas être en difficulté financière, ne pas vivre seul, ne pas prendre de vacances (ça paraît bien auprès du boss), ne pas embêter les autres avec nos soucis au risque de devenir toxique et de se faire jeter comme un déchet, surtout ne pas pleurer, rester fort, être le plus souvent possible de bonne humeur, faire du sport (de haut niveau, c’est mieux), sembler jeune (le plus longtemps possible), avoir les meilleurs plus beaux enfants du monde, intelligents et bien élevés avec des prénoms originaux si possible, posséder le dernier gadget disponible sur le marché, avoir un magnifique chien, etc.

Comment peut-on alors avoir un contact authentique avec les autres ou plus encore, comment déceler chez eux la moindre once de tristesse ou de mélancolie ?

C’est ça un vrai débat de société, et ça englobe bien entendu nos humoristes bien-aimés. Ça vous tente d’y participer, dans la joie et la bonne humeur bien sûr ?

30 juillet 2014

RBO et les Dead Obies : deux groupes, deux siècles...

Récemment, nous avons eu droit à une petite prise de bec entre deux vedettes des médias. L’un, Christian Rioux, correspondant du Devoir à Paris, et l’autre, Marc Cassivi, chroniqueur culturel de La Presse. L’objet de la discorde : la dérive du français dans l’univers musical. Ainsi, le premier semble faire des syncopes à chaque fois qu’il entend le buzz montréalais, les Dead Obies, un groupe de rap qui chante en franglais (au passage, il a également écorché le groupe Radio Radio qui chante en chiac). Dans un article, il avait ainsi partagé ses inquiétudes quant à l’évolution de la langue française et sa pérennité en Amérique du Nord si de tels groupes musicaux sévissaient de plus en plus. Et Marc Cassivi de lui répondre d’aplomb dans une chronique dans laquelle il s’aventurait même à identifier monsieur Rioux  à un « certain groupe de curés réactionnaires qui s’inquiète de l’extinction imminente de la « race » québécoise (si, si, il y avait trois petits points à la fin de sa phrase).

Bref, une tempête dans un verre d’eau. Car s’il avait fallu relever la qualité de la langue française, il aurait fallu s’attaquer à un mal bien plus profond : le relâchement de l’ensemble de la population dans son utilisation du français, tant d’un point de vue d’expression que d’écriture. Y compris le monde des médias (lisez le site Internet du journal La Presse pour constater de plus en plus de fautes d’orthographe ou d’erreurs grammaticales quand ce n’est pas la pauvreté du vocabulaire…). Or, pour remédier à ce problème, il faudrait d’abord le reconnaître et nous retrousser les manches collectivement. Apprendre à aimer le français (dès les premiers bancs d’école) pour mieux le maîtriser, l’enseigner, l’écrire, le chanter, voilà le grand défi. Et la solution pour cesser de « freaker » devant les autres langues ou certaines de leurs « unions mixtes »…

Mais sommes-nous véritablement prêts ? Pas sûr.

En attendant, on fait des crisettes et on jase. Dans le cas des Dead Obies, on a creusé le fossé entre générations, époques et écoles de pensée. Soit ceux et celles qui écoutent, aiment et comprennent des groupes comme le leur (forcément des jeunes dans le coup) et les autres qui détestent ou ne connaissent pas (automatiquement des ringards) :

En attendant, on a encore et toujours mélangé le fond (oublions le français international puisque ça grince à chaque fois, parlons plutôt d’un français soigné – attention, je n’ai pas dit pointu) et la forme (l’accent et les régionalismes – cf. l’éloquence de nombreux Africains francophones est exemplaire) ;

Bref, en attendant, on s’est vautrés dans ce qu’on sait faire le mieux : regarder en arrière, chialer et rejeter la faute sur l’autre.

Pourtant, le chialage, c’est d’la marde, comme dirait Lisa LeBlanc (une autre écorchée par Christian Rioux). Et puis, quand on y pense bien, les Dead Obies sont un peu les RBO (1981-1995) d’aujourd’hui. D'ailleurs, ces derniers n’ont-ils pas commencé leur spectacle The Tounes (!) présenté lors du Festival Juste pour rire le 23 juillet dernier avec leur fameuse chanson I want to pogne ?

Mais la différence tient au fait que les Dead Obies sont bien du 21e siècle, que c’est nouveau et que ça fait du bien ! Car de cette nostalgie du passé latente et fatigante, je n’en peux plus. De cette tendance à l’autopromotion, à une médiatisation biaisée et de plus en plus portée sur le réseautage, le copinage et le buzz, à l’homogénéité de la culture devenue principalement industrie, j’en ai marre. De la surabondance de festivals en tous genres, parfois à coups de grasses subventions (quel est par exemple le montant de celles octroyées au Festival Juste pour rire année après année ?), j’en ai parfois et même de plus en plus souvent la nausée.  « L’affaire » des Dead Obies, c’est de la publicité gratuite pour eux certes, mais c’est surtout l’ouverture à une démarche artistique en marge d’une distribution commerciale. Loin de cette norme qui nous engourdit et qui ennuie.

Entendons-nous bien, je ne rejette pas en bloc la culture du divertissement omniprésente. J’en achète et j’en use. Mais j’ai comme une désagréable impression qu’elle s’est insérée dans toutes les sphères de notre culture avec un grand C : médias, humour, cinéma, théâtre, littérature, radio, télévision, etc. Je suis convaincue qu’un accès grand public à des courants de pensée émergents et divergents pourrait être également inspirant… tout en bousculant un certain ordre établi.

Il y a quelques mois, j’ai rencontré une jeune femme que je souhaitais interviewer dans le cadre de mon émission sur les ondes de Radio Centre-Ville. Nous avons pris rendez-vous dans un petit café du Mile-End. Et nous avons discuté de son grand pari. Elle s’appelle Léa Jeanmougin, elle a 26 ans, et avec ses économies, elle a créé en 2012 un magazine imprimé, CITTÀ – mot italien unique pour ville et villes (www.cittamagazine.ca). Mais attention, comme elle le dit elle-même, celui-ci « tend à naviguer en marge du monde médiatique qui a tendance à préférer les gros sabots aux ballerines ». Dans un univers de plus en plus numérique, Léa et sa petite équipe publient deux fois par année (pour le moment) ce magazine de création, d’art et de culture citadine qui déballe 84 pages sur le thème : la ville est à nous. Chaque numéro se veut un portrait croisé entre une métropole internationale et Montréal pour mieux parler de notre ville, l’observer, la comparer et la rêver. Après Casablanca et Berlin, le dernier numéro de CITTÀ nous a emmenés à Mexico, où plusieurs collaborateurs locaux nous ont plongés dans autant d’univers que la photographie, le design ou la mode. Impressionnant, non ? Et tellement représentatif d’une relève symbolique de cette créativité de Montréal dont on parle tant dans le cadre de conférences à grands frais mais que l’on n’invite pas toujours.

Je vous laisse sur une phrase relevée dans CITTÀ : « Quand on fixe son nombril, on rate l’horizon. Bref, la vérité est ailleurs ».

24 juin 2014

Mes premiers amis à mon arrivée au Québec ? Aimé « Ti-Mé » Paré et Ron Fournier…

Certaines personnes n’ont jamais quitté leur maison d’enfance en succédant ainsi à leurs parents et parfois même à leurs grands-parents. J’en connais, vous en connaissez certainement. Je doute qu’à Montréal, on en trouve beaucoup si l’on considère sa journée officielle du déménagement ancrée depuis bien longtemps dans le calendrier. Ainsi, chaque 1er juillet, on assiste à un mouvement de migration urbaine qui s’achève par le spectacle de vieux meubles et de détritus en tous genres sur les trottoirs, quand ce n’est pas hélas des chiens, des chats ou autres animaux de compagnie laissés sur le carreau.
En ce qui me concerne, il y a belle lurette que j’ai quitté ma maison d’enfance. Et si j’y pense bien, c’est au Québec que j’ai vécu le plus longtemps au même endroit. Le gène de la bougeotte, ce sont mes parents qui me l’ont transmis. Les premières années de ma vie, je les ai passées avec eux dans une caravane qui se déplaçait au gré des chantiers routiers sur lesquels « régnait » mon père. Je devais changer d’école tous les six mois. Puis vint un temps, quand la famille se fut agrandie, où nous avons posé nos pénates dans une vraie maison dans une petite ville située à l’extrême nord de la France (pour que vous ne confondiez pas avec la Normandie, pensez au film Bienvenue chez les Ch’tis). Ce furent les plus belles années de mon enfance ; je me souviens très bien de ces mercredis sans classe où ma mère décidait sur un coup de tête de nous emmener, mon frère, ma sœur et moi, à la plage. Ici, je parle de la mer du Nord réputée plutôt pour son immense trafic maritime et sa pollution que pour son eau turquoise.
Beaucoup plus tard, après un court transit en banlieue parisienne, j’ai réalisé mon rêve de vivre dans un appartement à Paris intra-muros au prix d’un gros prêt à la banque… Et puis l’amour s’est pointé le bout du nez sans crier gare. Vous savez ce que c’est, quelque soit l’âge, on ne réfléchit pas trop et on vit de bonheur et d’eau fraîche. Lui, attiré depuis toujours par l’Amérique du Nord, n’a donc pas eu grand mal à me convaincre de le suivre dans une grande aventure au Canada, même s’il fallait abandonner travail, appart, amis et famille. Dès lors, le compte à rebours a commencé en vue du grand déménagement. Pendant un an, nous avons fait les démarches nécessaires (même une visite médicale pour vérifier que nous n’avions pas la syphilis) pour obtenir notre statut de résident permanent. Que nous avons obtenu tous les deux fort heureusement, car ce n’était pas gagné d'avance. Nous avons tout vendu, dit au revoir une dernière fois à nos proches et à nos amis. À ce stade-là, plus question de faire marche arrière.

La veille de notre départ, les bagages bouclés, les papiers en règle et la cage de transport pour notre chat prêts au grand départ, la panique nous a saisis tous les deux avec un gros doute et la désagréable impression d’avoir fait la plus grande gaffe de notre vie.  Aux petites heures du matin, vint pourtant le moment de fermer les portes derrière nous.

Le 9 juillet 1995, nous débarquions à Montréal. Il faisait très chaud. Après d’interminables vérifications au bureau d’immigration et au service vétérinaire, nous avons enfin réellement mis les pieds sur le sol québécois. Direction l’hôtel Taj Mahal (qui acceptait les animaux) situé au Terminus Berri où nous avions réservé trois nuits, le temps de nous trouver un logement.
Je vous parlais plus tôt de grande aventure ? Elle le fut vraiment…  
Premières acquisitions: un vélo pour lui et un pour moi. Nous avons visité les différents quartiers de Montréal et oui, nous avons atterri dans un 4 ½ sur le Plateau. Pas par prétention (puisque nous ne savions rien de la réputation du quartier; seules la beauté de ses rues et la proximité de toutes sortes de commerce ont penché dans la balance). Imaginez, à l’époque, nous avons réussi à louer un appartement sans avoir d’emploi, ni mon conjoint ni moi ! Je ne suis pas certaine que ce soit encore possible aujourd’hui. Comme nos meubles étaient en route dans un container embarqué sur un bateau, nous avons emménagé et vécu les premières semaines de notre nouvelle vie dans un appartement vide. Heureusement, le concierge de l’immeuble, d’origine péruvienne et qui en avait certainement vu d’autres, nous a gentiment prêté un vieux matelas (oui, oui, nous avons dormi dessus sans hésiter ; là encore, je ne suis pas certaine que je ferais la même chose aujourd’hui), un canapé dans lequel, en revanche, je n’ai jamais posé mes fesses considérant son état de délabrement. Enfin, et non des moindres, une télévision noir et blanc 13’’ que nous avons installée dans un coin du salon… vide. Entretemps, nous avions acheté un transistor. Le luxe, quoi !
À la télé, nous regardions régulièrement les épisodes de La p’tite vie. Je ne cacherai pas qu’il fallait tendre un peu plus l'oreille pour être sûrs de bien comprendre. À la radio, je me souviens très bien de ces tribunes téléphoniques de sport animées par Ron Fournier. Rien de tel pour plonger dans la culture de votre pays d’adoption. Ça m’a certainement bien servi puisque je n’ai jamais eu de difficultés à comprendre qui que ce soit. Il faut dire que les tonalités du pays des Ch’tis ont quelques ressemblances avec celles du Québec.
Bref, c’était ma petite séquence souvenirs. D’habitude, quand je débute mes phrases par « je me souviens », c’est que je suis un peu pompette.  Je vous promets d’avoir écrit ce texte avec toutes mes facultés.
Sur ce, bon déménagement à ceux et celles qui « migrent » cette année !
Il n’est rien de constant si ce n’est le changement – Bouddha

11 juin 2014

Citation...

« If you're brave enough to say goodbye, life will reward you with a new hello. »
Paulo Coelho, romancier et interprète brésilien

Message au maire de Montréal : « Vous vous trompez de pics... »

Monsieur Coderre,

cette semaine, nous avons eu droit à une de vos sorties en règle en tant que Super-maire-Coderre dans l’affaire déplorable des pics anti-itinérants auxquels quelques commerçants et gérants d’immeubles avaient eu la drôle (pas vraiment le bon terme) d’idée d’avoir recours pour chasser les indésirables.

Rapide sur la  « gachette » des réseaux sociaux, vous avez dégainé votre stupéfaction et votre dégoût en dénonçant comme il se devait cette situation inacceptable, et en ordonnant illico presto leur retrait. Aussitôt dit, aussitôt fait. Jusque là, rien à redire tant le recours à ces pics était inhumain et désolant. Bien entendu, cela a aussi constitué un sujet assez croustillant merci pour dépêcher journalistes, micros et caméras sur place. Hey, c’est de la nouvelle ça, monsieur !

Pourtant, les raisons de votre colère, et de la nôtre, ne devraient pas seulement être destinées à ces décisions bancales. Les véritables « pics de la honte », comme vous les avez qualifiés, sont ailleurs. Ce sont plutôt cette progression constante de la pauvreté qui touche une frange de plus en plus grande de la population ainsi que l’étendue de l’itinérance urbaine. Vous êtes une personne qui brassez beaucoup d’air et qui réagit promptement ; j’aimerais tellement vous voir brasser autant d’air que vous l’avez fait cette semaine en mettant en place des mesures immédiates, drastiques et quantifiables pour réguler vers le bas ce foutu taux de pauvreté dans la métropole. J’aimerais tellement vous voir bomber le torse de fierté en annonçant des résultats probants, comme vous l’avez si bien fait lors de la conférence de presse qui confirmait l’entente sur la prolongation du Grand Prix pendant dix ans.

Car Montréal va mal. Vraiment mal. Et, sauf une mauvaise foi de ma part, ce ne sont pas les 70 à 90 millions de dollars de retombées économiques du Grand Prix qui vont changer les choses. Sinon, on l’aurait vu depuis que l’événement se déroule ici, non ? Or, au détour de nos rues, de nos quartiers ou de nos ruelles, il y a de plus en plus de foyers de désolation, tant d’un point de vue architectural que de société. J'utiliserais presque le mot « misère » pour définir certaines réalités. J’ose donc espérer que ces retombées dont vous parlez avec tant d’enthousiasme « retomberont » dans les quartiers de Montréal.  Pas seulement dans les poches de certains membres et partenaires de l’industrie touristique, ni dans celles de joueurs influents et porteurs de la renommée de Montréal comme la « Mecque de l’industrie du sexe en Amérique du Nord »...

Montréal va mal. Vraiment mal. Ça se voit, ça se sent. Ça se vit. Dans bon nombre de domaines professionnels, le marché est saturé et les salaires sont de plus en plus précaires. Les plus jeunes et les immigrants en bavent. Ceux au-dessus de 45 ans tout autant. À moins d’être planqués comme fonctionnaires ou syndiqués bien sûr... Pas étonnant d’apprendre que 60 % de jeunes voudraient vivre ailleurs qu’au Québec. Et pas seulement les jeunes qui ont toute la vie devant eux pour découvrir le monde et ses possibilités (je dirais même que c’est normal et vital). Il y a aussi les autres, des professionnels qualifiés et expérimentés, qui se retrouvent face à un marché du travail fermé ou devenu inadapté tant les emplois sont sous-qualifiés ou sous-payés, ou les deux.

On dit souvent que lorsque Montréal va mal, c’est le Québec qui décline. En effet la province s’appauvrit et ce n’est pas faute d’avoir essayé de contribuer à son essor. Malheureusement, nous sommes nombreux à avoir la ceinture serrée au maximum sans réel horizon d’avenir.  D’autant que l’avenir, on ne cesse de le prédire morose avec des gels d’embauches, des coupures, de l’austérité et tutti quanti. Pendant ce temps, la Commission Charbonneau nous rappelle chaque jour qu’au sein d’un aussi petit peuple et territoire occupé, il y a un nombre effarant de pommes pourries.

Alors oui, de plus en plus de personnes songent à quitter le Québec. En l’espace de quelques mois, deux familles – dont une qui vivait à Montréal depuis 15 ans – et deux personnes très proches de moi sont parties. J’y songe aussi tant je vis depuis trois ans dans une précarité de plus en plus grande. Difficulté à trouver un travail, des mandats, des salaires de plus en plus bas. Il n’y a pas si longtemps, j’ai même été BS, la honte… Pas parce que je ne voulais pas travailler ni parce que je n’ai pas de qualifications. Remarquez, il me reste à tester les banques alimentaires aux côtés de ce 11 % de travailleurs qui les fréquentent…

Bref, à vous, monsieur Coderre et autres décideurs, je dis que ce n’est pas seulement des grands argentiers de ce monde comme Bernie Ecclestone (qui doit bien rire sous cape) qu’il faut retenir ou les touristes américains qu’il faut attirer. Ce sont aussi et surtout la qualité de vie des citoyens qu’il faut préserver. Bien entendu, cher maire de Montréal, vous n’êtes pas responsable à vous seul de ce gâchis montréalais qui a été nourri par un je-m’en-foutisme et/ou une incompétence généralisée ces dernières années. Mais aujourd’hui, il y a urgence tant Montréal est défiguré par des infrastructures devenues désuètes, par sa saleté omniprésente, par sa congestion continuelle, et par son manque de peps. Notre ville n’était pas dans cet état il y a dix ans. Elle avait tous les atouts pour rayonner. Malheureusement, elle n’a pas eu les leaders qu’elle méritait. Vous qui savez si bien brasser de l’air, monsieur Coderre, j’espère que vous ne le ferez pas pour rien et que vous mettrez tout en œuvre pour que Montréal redevienne une ville fière et non plus amère. Sinon, vous le savez bien, quand l’air n'est plus brassé, il ne retombe souvent que de la poussière.

30 mai 2014

Bébé Victoria ou la dérive de nos médias

Vous allez peut-être me trouver sans cœur en lisant les premières lignes de mon billet. Sans cœur car j’ai choisi un événement qui a bouleversé le Québec pour développer mon propos, soit l’enlèvement du bébé à l’hôpital de Trois-Rivières. Or, sachez que j’ai un cœur gros comme ça et j’imagine bien les heures d’angoisse qu’ont dû vivre les parents et leurs proches. Fort heureusement, le poupon a été retrouvé quelque trois heures plus tard.
Première constatation : pourquoi s’étonner toujours autant de l’impact des réseaux sociaux comme si on venait de découvrir leur existence ? Ils font pourtant partie de notre quotidien depuis pas mal d’années. De plus, leur raison d’être est d’être viral. Viral comme dans virus ; donc c’est sensé se propager rapidement, non ?

Deuxième constatation : avait-on vraiment besoin de publier une photo gros plan du bébé avec sa petite peluche ? Aurait-on pu respecter l’intimité et le soulagement des parents plutôt que de les jeter en pâture médiatique notamment avec cette entrevue dans leur chambre d’hôpital ? Déboussolés, j’imagine qu’ils n’ont pas vraiment eu toute la force nécessaire de repousser la horde de journalistes-vautours à leurs trousses. Quel exploit pour celui ou celle qui décrocherait LE scoop… (il faut dire que ces journalistes répondent à la commande de patrons empêtrés dans une quête de rentabilité avant tout, au détriment de la qualité).

Même Radio-Canada joue dorénavant le jeu de cette information voyeuriste, facile et rabâchée. Au lendemain de l’événement, du matin au soir, chaque bulletin d’information et plusieurs émissions notamment sur Ici Radio-Canada Première ont fait leurs choux gras avec la nouvelle. Plutôt que de revenir sur des faits désuets (le retour sur les événements) et des détails pour faire pleurer dans les chaumières, il aurait pourtant été opportun de se demander comment une jeune femme de 21 ans autrefois pimpante et pleine de vie en était-elle arrivée à commettre un tel acte (une sorte d’appel à l’aide ou même de suicide) gonflée à bloc de médicaments et de détresse ? Quel constat devrions-nous en tirer sur l’état de notre société ? Devrait-on revoir la prise en charge des personnes – de plus en plus nombreuses – aux prises avec des troubles mentaux ? Car, ne soyons pas dupes, il faut s’attendre à des actes de plus en plus violents.   

Un autre exemple de cette information sensationnaliste et voyeuriste ? L’accident de vélo de Pierre-Karl Péladeau. Pendant toute une journée, nous avons entendu le récit de sa chute et son bilan de santé officiel. Je comprends qu’il s’agit d’une personnalité publique mais de là à répéter ad nauseam qu’il allait bien et qu’il allait devoir se déplacer en fauteuil roulant, le pauvre, il y a des limites. Vous n’êtes pas d’accord ?

Je constate qu’une piètre qualité de l’information se répand de plus en plus dans nos médias. Un contenu de fond, rigoureux, instructif et enrichissant manque terriblement. Un constat qui me donne cette désagréable impression d’un repli sur notre petite collectivité et de vivre dans un vase clos où tout ce qui a de l’importance est cette information « fait divers » et la surexposition de sujets comme le sport, la météo et le divertissement.

Comment en sommes-nous arrivés à ce grand paradoxe du manque de choses à dire et de pensée unique dans un bassin de plus en plus grand de sources d’informations et d’ouverture sur le monde ? Comme je l’avais déjà mentionné dans un précédent billet, la concurrence entre Gesca et Quebecor y est certainement pour quelque chose avec leurs objectifs de rentabilité qui plombent la « liberté » de leurs journalistes, ceux-ci ayant la responsabilité de « produire de la nouvelle » – lire ici « micros-contenus écrits à partir d’infos lues, vues ou entendues » transférables sur les multiples plateformes. Pas vraiment le temps pour eux de faire du journalisme d’investigation. 

Doit-on s'inquiéter de cette homogénéisation des contenus médiatiques ? Très certainement d’autant plus que la « vérité » repose trop souvent dans ou entre les lignes et les dires d’un groupuscule de journalistes-chroniqueurs* comme je l’avais également déjà relevé. Quoique leurs interventions dans leurs billets d’opinion puissent être fort intéressantes, il n’en reste pas moins qu’elles sont le reflet de leurs PROPRES interprétations de l’actualité. On les approuve, on les rejette, on les critique. Mais est-ce suffisant pour développer une opinion et, dans un sens plus large, une culture générale ? J’en doute. Aussi, pensez-vous vraiment qu’il est possible de comprendre et de développer notre connaissance des enjeux géopolitiques mondiaux avec uniquement des segments sur le thème « le monde en bref » dans les télé-journaux ? Certes, vous me direz qu’il est toujours possible de trouver ailleurs d’autres sources d’information plus étoffée. Malheureusement, je ne crois pas que ce soit une initiative du plus grand nombre.

Certains pontes des médias (ici et ailleurs) diront qu’il faut donner à la populace ce qu’elle veut voir, entendre et lire. Mais comment peuvent-ils vraiment savoir ce qu’elle veut s’ils n’essaient pas autre chose ? Ben non, voyons, il est préférable de lui offrir, à cette populace, de la matière soporifique ; ça lui évite de trop penser et de se fatiguer. Et surtout de se questionner.

Attention, je ne suis pas contre du contenu plus léger que je « consomme ». Toutefois, considérant notre paysage médiatique fort petit, j’estime qu’il est primordial d’avoir au moins une référence fiable et de très grande qualité. Je pense que la Société Radio-Canada, dans le cadre de son mandat de diffuseur public, devrait jouer ce rôle. Malheureusement, elle a perdu de son lustre (je ne suis pas la seule à le penser), et s’est détournée de sa mission première pour s’accoter au style de ses concurrents. Alors que TVA ou V par exemple jouent parfaitement leur rôle, la Société Radio-Canada s’est, elle, véritablement égarée.

* Je ne suis ni journaliste, ni chroniqueure, ni professionnelle des médias. 

24 mai 2014

Nous avons perdu maman. Mais où ça ?

Lundi 5 mai, aux alentours de 14 heures. Je presse le pas dans la rue sur la Plaza Saint-Hubert, en route vers une petite séance d’acupuncture qui va certainement me faire le plus grand bien. Par habitude, je consulte mon cellulaire. Un texto de ma sœur attire mon attention :
Elle : peux-tu m’appeler assez rapidement ?
Moi : est-ce que je peux le faire dans 2 heures environ ?
Elle : c’est assez grave. Ce serait bien si tu pouvais m’appeler maintenant.

Avec une petite boule au ventre, je compose son numéro.

Elle : bonjour p’tite sœur, ça va ?
Moi : ça va, et toi ? Que se passe-t-il ?
Elle : on a perdu maman.
« Mais on l’a perdue où ? » a failli jaillir de ma bouche quand deux neurones se sont touchées pour me faire rapidement comprendre que je ne reverrai plus jamais ma mère. Étrange expérience que d’apprendre le décès d’un parent au beau milieu d’une rue parmi plein d’individus qui vous regardent sans trop vraiment vous voir, vous et votre boule au ventre remontée soudain à la gorge.
Comment annuler mon rendez-vous à la toute dernière minute fut ma première inquiétude qui peut paraître bien terre à terre. Finalement, je suis retournée chez moi en métro parmi d’autres individus que je croisais cette fois les yeux pleins de larmes. Petit à petit, je digérais un peu plus la nouvelle. Après le départ de mon père qui nous avait quittés il y a déjà longtemps, ma sœur, mon frère et moi nous retrouvions ainsi sans parents.
Pourquoi je vous raconte tout ça ? Peut-être parce que ça me permet d’évacuer ce profond sentiment de tristesse, même si ma maman n’a pas toujours été sympa ni cool. À une certaine époque, elle m’a même fait tellement suer que je lui ai raconté que je n’avais plus de téléphone. Et comme elle n’était pas connectée sur Internet, elle n’avait plus la possibilité de communiquer avec moi. J’allais être enfin tranquille. Elle aurait pu venir me voir ? Encore eut-il fallu qu’elle se décide à faire le voyage. Car, voyez-vous, ma maman et moi habitions à 7 000 kilomètres l’une de l’autre. Je vous raconte peut-être tout ça pour également évacuer ma peine de ne pas être allée la voir comme je désirais le faire depuis quelque temps. Mais vous savez ce que c’est, on reporte si facilement. La distance ou le prix des billets étaient-ils de bonnes excuses ? Bien sûr que non. Surtout que je n’avais pas vu ma mère depuis plus de dix ans, tout comme le reste de ma famille d’ailleurs. Il aura fallu ce coup de fil fatidique pour m’obliger à dénicher ce foutu billet d’avion et retrouver les miens…
Ce sentiment d’éloignement que ressentent tous ceux et celles qui vivent loin de leur terre d’origine, qu’elle soit à Paris, à Kaboul ou à Alma, je l’avais enfoui au fil des ans parce que ma vie, elle se faisait ici. J’avais appris à renier mon pays d’origine à force d’entendre qu’on était donc bien au Québec (c’est vrai) alors qu’en France, les gens sont arrogants et râleurs et, en plus, c’est la grosse crise économique. La preuve, ils débarquent en masse (c’est vrai aussi).
Mon retour « forcé » en France m’a fait réaliser que la famille, qu’elle soit idéale ou bancale, reste toujours le point d’ancrage de notre histoire. J’avais cru pouvoir m’en libérer en partant loin, loin, loin, et, surtout, en choisissant de faire comme si elle existait plus ou moins. Deux pays, deux cultures, deux gros chapitres du livre de ma vie que j’ai rendue morcelée. Le déracinement, choisi ou pas, est aussi un exil intérieur. 
Cela fait près de vingt ans que j’ai débarqué au Québec. J’ai toujours pensé qu’il était préférable d’effacer plus ou moins mon identité française pour mieux m’intégrer à ma société d’accueil. Pour être mieux acceptée. C’est une erreur. On n’est jamais vraiment d’ici et on n’est plus tout à fait de là-bas… C’est normal et il faut l’accepter. Malgré mon statut de « vieille » immigrante, on me demande encore et très souvent si j’habite ici ou je suis une touriste. Ce statut d’apatride m’a toujours convenu jusqu’à ce jour. Or, le départ de mon aïeule a ébranlé mes certitudes.  Comme si ce cordon qui vient d’être coupé si rapidement laissait place à une bizarre impression d’avoir perdu le dernier lien avec mon pays d’origine. 
À moins que ce ne soit le signe ultime qu’il est temps d’envisager un nouveau mouvement, qui sait. Il est vrai que tout ça arrive à une période de ma vie où je me pose beaucoup de questions. Est-ce là que je veux et que je dois être ? Cette vie est-elle faite pour moi ? Où vais-je ? On appelle cela la crise du milieu de vie paraît-il… Mon identité flottante entre deux eaux n’est certes pas de tout repos d’autant plus que mon avenir à Montréal semble morose depuis quelque temps tant le marché du travail dans mon domaine est saturé ; aussi, l’amour avec un grand A ne semble pas vouloir non plus frapper à ma porte. Vous allez me dire que, quelque soit l’endroit où l’on vit, une traversée du désert est difficile. Envisager de partir ne serait-il donc pas une fuite en avant ? Peut-être. Mais Bouddha disait aussi « il n’est rien de constant si ce n’est le changement ». Alors, se pourrait-il que je largue de nouveau les amarres de mon port d’attache actuel ? Qui le sait vraiment. Une chose est certaine, je ne laisserai plus filer autant le temps avant de revoir les gens que j’aime. Même s’ils sont loin.

Ma mère aurait eu 65 ans ce 25 mai, jour de la Fête des mères en France. Il y a des hasards dont on se passerait bien. Bonne fête, maman.