Récemment, nous avons eu droit à une petite prise de bec entre deux
vedettes des médias. L’un, Christian Rioux, correspondant du Devoir à Paris, et
l’autre, Marc Cassivi, chroniqueur culturel de La Presse. L’objet de la discorde
: la dérive du français dans l’univers musical. Ainsi, le premier semble faire
des syncopes à chaque fois qu’il entend le buzz
montréalais, les Dead Obies, un groupe de rap qui chante en franglais (au
passage, il a également écorché le groupe Radio Radio qui chante en chiac).
Dans un article, il avait ainsi partagé ses inquiétudes quant à l’évolution de
la langue française et sa pérennité en Amérique du Nord si de tels groupes
musicaux sévissaient de plus en plus. Et Marc Cassivi de lui répondre d’aplomb
dans une chronique dans laquelle il s’aventurait même à identifier monsieur
Rioux à un « certain groupe de curés
réactionnaires qui s’inquiète de l’extinction imminente de la « race »
québécoise (si, si, il y avait trois petits points à la fin de sa phrase).
Bref, une tempête dans un verre d’eau. Car s’il avait fallu relever la
qualité de la langue française, il aurait fallu s’attaquer à un mal bien plus
profond : le relâchement de l’ensemble de la population dans son utilisation du
français, tant d’un point de vue d’expression que d’écriture. Y compris le
monde des médias (lisez le site Internet du journal La Presse pour constater de
plus en plus de fautes d’orthographe ou d’erreurs grammaticales quand ce n’est
pas la pauvreté du vocabulaire…). Or, pour remédier à ce problème, il faudrait
d’abord le reconnaître et nous retrousser les manches collectivement. Apprendre
à aimer le français (dès les premiers bancs d’école) pour mieux le maîtriser,
l’enseigner, l’écrire, le chanter, voilà le grand défi. Et la solution pour
cesser de « freaker » devant les autres langues ou certaines de leurs « unions
mixtes »…
Mais sommes-nous véritablement prêts ? Pas sûr.
En attendant, on fait des crisettes et on jase. Dans le cas des Dead Obies,
on a creusé le fossé entre générations, époques et écoles de pensée. Soit ceux
et celles qui écoutent, aiment et comprennent des groupes comme le leur
(forcément des jeunes dans le coup) et les autres qui détestent ou ne
connaissent pas (automatiquement des ringards) :
En attendant, on a encore et toujours mélangé le fond (oublions le français
international puisque ça grince à chaque fois, parlons plutôt d’un français
soigné – attention, je n’ai pas dit pointu) et la forme (l’accent et les
régionalismes – cf. l’éloquence de nombreux Africains francophones est
exemplaire) ;
Bref, en attendant, on s’est vautrés dans ce qu’on sait faire le mieux :
regarder en arrière, chialer et rejeter la faute sur l’autre.
Pourtant, le chialage, c’est d’la marde, comme dirait Lisa LeBlanc (une
autre écorchée par Christian Rioux). Et puis, quand on y pense bien, les Dead
Obies sont un peu les RBO (1981-1995) d’aujourd’hui. D'ailleurs, ces derniers
n’ont-ils pas commencé leur spectacle The Tounes (!)
présenté lors du Festival Juste pour rire le 23 juillet dernier avec leur
fameuse chanson I want to pogne ?
Mais la différence tient au fait que les Dead Obies sont bien du 21e
siècle, que c’est nouveau et que ça fait du bien ! Car de cette nostalgie du
passé latente et fatigante, je n’en peux plus. De cette tendance à
l’autopromotion, à une médiatisation biaisée et de plus en plus portée sur le
réseautage, le copinage et le buzz, à l’homogénéité de la culture devenue
principalement industrie, j’en ai marre. De la surabondance de festivals en
tous genres, parfois à coups de grasses subventions (quel est par exemple le
montant de celles octroyées au Festival Juste pour rire année après année ?),
j’en ai parfois et même de plus en plus souvent la nausée. « L’affaire » des Dead Obies, c’est de la
publicité gratuite pour eux certes, mais c’est surtout l’ouverture à une
démarche artistique en marge d’une distribution commerciale. Loin de cette
norme qui nous engourdit et qui ennuie.
Entendons-nous bien, je ne rejette pas en bloc la culture du divertissement
omniprésente. J’en achète et j’en use. Mais j’ai comme une désagréable
impression qu’elle s’est insérée dans toutes les sphères de notre culture avec
un grand C : médias, humour, cinéma, théâtre, littérature, radio, télévision, etc.
Je suis convaincue qu’un accès grand public à des courants de pensée émergents
et divergents pourrait être également inspirant… tout en bousculant un certain
ordre établi.
Il y a quelques mois, j’ai rencontré une jeune femme que je souhaitais
interviewer dans le cadre de mon émission sur les ondes de Radio Centre-Ville.
Nous avons pris rendez-vous dans un petit café du Mile-End. Et nous avons
discuté de son grand pari. Elle s’appelle Léa Jeanmougin, elle a 26 ans, et
avec ses économies, elle a créé en 2012 un magazine imprimé, CITTÀ – mot
italien unique pour ville et villes (www.cittamagazine.ca). Mais attention,
comme elle le dit elle-même, celui-ci « tend à naviguer en marge du monde
médiatique qui a tendance à préférer les gros sabots aux ballerines ». Dans un
univers de plus en plus numérique, Léa et sa petite équipe publient deux fois
par année (pour le moment) ce magazine de création, d’art et de culture
citadine qui déballe 84 pages sur le thème : la ville est à nous. Chaque numéro
se veut un portrait croisé entre une métropole internationale et Montréal pour
mieux parler de notre ville, l’observer, la comparer et la rêver. Après
Casablanca et Berlin, le dernier numéro de CITTÀ nous a emmenés à Mexico, où
plusieurs collaborateurs locaux nous ont plongés dans autant d’univers que la
photographie, le design ou la mode. Impressionnant, non ? Et tellement
représentatif d’une relève symbolique de cette créativité de Montréal dont on
parle tant dans le cadre de conférences à grands frais mais que l’on n’invite
pas toujours.
Je vous laisse sur une phrase relevée dans CITTÀ : « Quand on fixe son
nombril, on rate l’horizon. Bref, la vérité est ailleurs ».
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