Lundi 5 mai, aux alentours de 14 heures. Je presse le pas
dans la rue sur la Plaza Saint-Hubert, en route vers une petite séance
d’acupuncture qui va certainement me faire le plus grand bien. Par habitude, je
consulte mon cellulaire. Un texto de ma sœur attire mon attention :
Elle : peux-tu m’appeler assez rapidement ?
Moi : est-ce que je peux le faire dans 2 heures environ ?
Elle : c’est assez grave. Ce serait bien si tu pouvais m’appeler
maintenant.
Avec une petite boule au ventre, je compose son numéro.
Elle : bonjour p’tite sœur, ça va ?
Moi : ça va, et toi ? Que se passe-t-il ?
Elle : on a perdu maman.
« Mais on l’a perdue où ? » a failli jaillir de ma
bouche quand deux neurones se sont touchées pour me faire rapidement comprendre
que je ne reverrai plus jamais ma mère. Étrange expérience que d’apprendre le
décès d’un parent au beau milieu d’une rue parmi plein d’individus qui vous regardent
sans trop vraiment vous voir, vous et votre boule au ventre remontée soudain à
la gorge.
Comment annuler mon rendez-vous à la toute dernière
minute fut ma première inquiétude qui peut paraître bien terre à terre. Finalement,
je suis retournée chez moi en métro parmi d’autres individus que je croisais
cette fois les yeux pleins de larmes. Petit à petit, je digérais un peu plus la
nouvelle. Après le départ de mon père qui nous avait quittés il y a déjà
longtemps, ma sœur, mon frère et moi nous retrouvions ainsi sans parents.
Pourquoi je vous raconte tout ça ? Peut-être parce que ça
me permet d’évacuer ce profond sentiment de tristesse, même si ma maman n’a pas
toujours été sympa ni cool. À une certaine époque, elle m’a même fait tellement
suer que je lui ai raconté que je n’avais plus de téléphone. Et comme elle
n’était pas connectée sur Internet, elle n’avait plus la possibilité de communiquer avec moi. J’allais être enfin tranquille. Elle aurait pu venir me
voir ? Encore eut-il fallu qu’elle se décide à faire le voyage. Car, voyez-vous, ma
maman et moi habitions à 7 000 kilomètres l’une de l’autre. Je vous raconte
peut-être tout ça pour également évacuer ma peine de ne pas être allée la voir
comme je désirais le faire depuis quelque temps. Mais vous savez ce que c’est,
on reporte si facilement. La distance ou le prix des billets étaient-ils de
bonnes excuses ? Bien sûr que non. Surtout que je n’avais pas vu ma mère depuis
plus de dix ans, tout comme le reste de ma famille d’ailleurs. Il aura fallu ce
coup de fil fatidique pour m’obliger à dénicher ce foutu billet d’avion et retrouver les miens…
Ce sentiment d’éloignement que ressentent tous ceux et
celles qui vivent loin de leur terre d’origine, qu’elle soit à Paris, à Kaboul
ou à Alma, je l’avais enfoui au fil des ans parce que ma vie, elle se faisait
ici. J’avais appris à renier mon pays d’origine à force d’entendre qu’on était
donc bien au Québec (c’est vrai) alors qu’en France, les gens sont arrogants et
râleurs et, en plus, c’est la grosse crise économique. La preuve, ils
débarquent en masse (c’est vrai aussi).
Mon retour « forcé » en France m’a fait réaliser que la
famille, qu’elle soit idéale ou bancale, reste toujours le point d’ancrage de
notre histoire. J’avais cru pouvoir m’en libérer en partant loin, loin, loin,
et, surtout, en choisissant de faire comme si elle existait plus ou moins. Deux
pays, deux cultures, deux gros chapitres du livre de ma vie que j’ai rendue
morcelée. Le déracinement, choisi ou pas, est aussi un exil intérieur.
Cela fait près de vingt ans que j’ai débarqué au Québec.
J’ai toujours pensé qu’il était préférable d’effacer plus ou moins mon identité
française pour mieux m’intégrer à ma société d’accueil. Pour être mieux
acceptée. C’est une erreur. On n’est jamais vraiment d’ici et on n’est plus
tout à fait de là-bas… C’est normal et il faut l’accepter. Malgré mon statut de
« vieille » immigrante, on me demande encore et très souvent si j’habite ici ou
je suis une touriste. Ce statut d’apatride m’a toujours convenu jusqu’à ce jour.
Or, le départ de mon aïeule a ébranlé mes certitudes. Comme si ce cordon qui vient d’être coupé si
rapidement laissait place à une bizarre impression d’avoir perdu le dernier lien
avec mon pays d’origine.
À moins que ce ne soit le signe ultime qu’il est temps
d’envisager un nouveau mouvement, qui sait. Il est vrai que tout ça arrive à
une période de ma vie où je me pose beaucoup de questions. Est-ce là que je
veux et que je dois être ? Cette vie est-elle faite pour moi ? Où
vais-je ? On appelle cela la crise du milieu de vie paraît-il… Mon identité flottante
entre deux eaux n’est certes pas de tout repos d’autant plus que mon avenir à
Montréal semble morose depuis quelque temps tant le marché du travail dans mon
domaine est saturé ; aussi, l’amour avec
un grand A ne semble pas vouloir non plus frapper à ma porte. Vous allez me
dire que, quelque soit l’endroit où l’on vit, une traversée du désert est difficile. Envisager de partir ne serait-il donc pas une fuite en avant ? Peut-être. Mais Bouddha
disait aussi « il n’est rien de constant si ce n’est le changement ». Alors,
se pourrait-il que je largue de nouveau les amarres de mon port d’attache
actuel ? Qui le sait vraiment. Une chose est certaine, je ne laisserai
plus filer autant le temps avant de revoir les gens que j’aime. Même s’ils sont
loin.
Ma mère aurait eu 65 ans ce 25 mai, jour de la Fête des mères en France. Il y a des hasards dont on se passerait bien. Bonne fête, maman.
Ma mère aurait eu 65 ans ce 25 mai, jour de la Fête des mères en France. Il y a des hasards dont on se passerait bien. Bonne fête, maman.
Je t'embrasse
RépondreSupprimerSolange
Je vous souhaite bon courage pour cette période triste due à la perte de votre maman. Je vous comprends tellement : je n'ai plus mon papa et ma maman est à 10000km, et j'appréhende ce jour où... Bon courage également et bonne chance quoique vous décidez pour la suite de votre vie.
RépondreSupprimerMerci pour votre message.
SupprimerC'est un très beau billet. Le sujet, si touchant et si personnel, est traité avec beaucoup de délicatesse et d'efficacité. J'espère bien égoïstement que tu resteras encore un moment à Montréal...
RépondreSupprimerLouise