24 mai 2014

Nous avons perdu maman. Mais où ça ?

Lundi 5 mai, aux alentours de 14 heures. Je presse le pas dans la rue sur la Plaza Saint-Hubert, en route vers une petite séance d’acupuncture qui va certainement me faire le plus grand bien. Par habitude, je consulte mon cellulaire. Un texto de ma sœur attire mon attention :
Elle : peux-tu m’appeler assez rapidement ?
Moi : est-ce que je peux le faire dans 2 heures environ ?
Elle : c’est assez grave. Ce serait bien si tu pouvais m’appeler maintenant.

Avec une petite boule au ventre, je compose son numéro.

Elle : bonjour p’tite sœur, ça va ?
Moi : ça va, et toi ? Que se passe-t-il ?
Elle : on a perdu maman.
« Mais on l’a perdue où ? » a failli jaillir de ma bouche quand deux neurones se sont touchées pour me faire rapidement comprendre que je ne reverrai plus jamais ma mère. Étrange expérience que d’apprendre le décès d’un parent au beau milieu d’une rue parmi plein d’individus qui vous regardent sans trop vraiment vous voir, vous et votre boule au ventre remontée soudain à la gorge.
Comment annuler mon rendez-vous à la toute dernière minute fut ma première inquiétude qui peut paraître bien terre à terre. Finalement, je suis retournée chez moi en métro parmi d’autres individus que je croisais cette fois les yeux pleins de larmes. Petit à petit, je digérais un peu plus la nouvelle. Après le départ de mon père qui nous avait quittés il y a déjà longtemps, ma sœur, mon frère et moi nous retrouvions ainsi sans parents.
Pourquoi je vous raconte tout ça ? Peut-être parce que ça me permet d’évacuer ce profond sentiment de tristesse, même si ma maman n’a pas toujours été sympa ni cool. À une certaine époque, elle m’a même fait tellement suer que je lui ai raconté que je n’avais plus de téléphone. Et comme elle n’était pas connectée sur Internet, elle n’avait plus la possibilité de communiquer avec moi. J’allais être enfin tranquille. Elle aurait pu venir me voir ? Encore eut-il fallu qu’elle se décide à faire le voyage. Car, voyez-vous, ma maman et moi habitions à 7 000 kilomètres l’une de l’autre. Je vous raconte peut-être tout ça pour également évacuer ma peine de ne pas être allée la voir comme je désirais le faire depuis quelque temps. Mais vous savez ce que c’est, on reporte si facilement. La distance ou le prix des billets étaient-ils de bonnes excuses ? Bien sûr que non. Surtout que je n’avais pas vu ma mère depuis plus de dix ans, tout comme le reste de ma famille d’ailleurs. Il aura fallu ce coup de fil fatidique pour m’obliger à dénicher ce foutu billet d’avion et retrouver les miens…
Ce sentiment d’éloignement que ressentent tous ceux et celles qui vivent loin de leur terre d’origine, qu’elle soit à Paris, à Kaboul ou à Alma, je l’avais enfoui au fil des ans parce que ma vie, elle se faisait ici. J’avais appris à renier mon pays d’origine à force d’entendre qu’on était donc bien au Québec (c’est vrai) alors qu’en France, les gens sont arrogants et râleurs et, en plus, c’est la grosse crise économique. La preuve, ils débarquent en masse (c’est vrai aussi).
Mon retour « forcé » en France m’a fait réaliser que la famille, qu’elle soit idéale ou bancale, reste toujours le point d’ancrage de notre histoire. J’avais cru pouvoir m’en libérer en partant loin, loin, loin, et, surtout, en choisissant de faire comme si elle existait plus ou moins. Deux pays, deux cultures, deux gros chapitres du livre de ma vie que j’ai rendue morcelée. Le déracinement, choisi ou pas, est aussi un exil intérieur. 
Cela fait près de vingt ans que j’ai débarqué au Québec. J’ai toujours pensé qu’il était préférable d’effacer plus ou moins mon identité française pour mieux m’intégrer à ma société d’accueil. Pour être mieux acceptée. C’est une erreur. On n’est jamais vraiment d’ici et on n’est plus tout à fait de là-bas… C’est normal et il faut l’accepter. Malgré mon statut de « vieille » immigrante, on me demande encore et très souvent si j’habite ici ou je suis une touriste. Ce statut d’apatride m’a toujours convenu jusqu’à ce jour. Or, le départ de mon aïeule a ébranlé mes certitudes.  Comme si ce cordon qui vient d’être coupé si rapidement laissait place à une bizarre impression d’avoir perdu le dernier lien avec mon pays d’origine. 
À moins que ce ne soit le signe ultime qu’il est temps d’envisager un nouveau mouvement, qui sait. Il est vrai que tout ça arrive à une période de ma vie où je me pose beaucoup de questions. Est-ce là que je veux et que je dois être ? Cette vie est-elle faite pour moi ? Où vais-je ? On appelle cela la crise du milieu de vie paraît-il… Mon identité flottante entre deux eaux n’est certes pas de tout repos d’autant plus que mon avenir à Montréal semble morose depuis quelque temps tant le marché du travail dans mon domaine est saturé ; aussi, l’amour avec un grand A ne semble pas vouloir non plus frapper à ma porte. Vous allez me dire que, quelque soit l’endroit où l’on vit, une traversée du désert est difficile. Envisager de partir ne serait-il donc pas une fuite en avant ? Peut-être. Mais Bouddha disait aussi « il n’est rien de constant si ce n’est le changement ». Alors, se pourrait-il que je largue de nouveau les amarres de mon port d’attache actuel ? Qui le sait vraiment. Une chose est certaine, je ne laisserai plus filer autant le temps avant de revoir les gens que j’aime. Même s’ils sont loin.

Ma mère aurait eu 65 ans ce 25 mai, jour de la Fête des mères en France. Il y a des hasards dont on se passerait bien. Bonne fête, maman.  

4 commentaires:

  1. Je t'embrasse
    Solange

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  2. Je vous souhaite bon courage pour cette période triste due à la perte de votre maman. Je vous comprends tellement : je n'ai plus mon papa et ma maman est à 10000km, et j'appréhende ce jour où... Bon courage également et bonne chance quoique vous décidez pour la suite de votre vie.

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  3. C'est un très beau billet. Le sujet, si touchant et si personnel, est traité avec beaucoup de délicatesse et d'efficacité. J'espère bien égoïstement que tu resteras encore un moment à Montréal...

    Louise

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