05 juin 2013

Y a-t-il trop de Français à Montréal ?

Question provocante que je me permets de poser alors que l'auteur de ces lignes est elle-même issue de l'immigration française depuis dix-huit ans. Une expatriation de coeur car je suivais mon homme attiré depuis toujours pour la culture nord-américaine (comme je l'ai déjà raconté). 

À l'époque, ce grand départ s'est fait autour d'une grande fébrilité mais aussi d'une certaine angoisse face à l'inconnu. Je me souviens encore de mon conjoint qui me répétait sans cesse « prends des photos dans ta tête ». Pourquoi faire ? J'ai totalement ignoré ses conseils, impatiente de quitter cette France forcément nulle et qui, en plus, avait choisi de passer à droite avec l'élection de Jacques Chirac en 1995. Imaginez si cela avait été en 2002 avec un Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles...

Je l'ai déjà écrit plusieurs fois, quitter volontairement son pays d'origine, c'est facile au début. L'attrait de la nouveauté, les nombreux défis à relever, les nouveaux amis, etc. Puis, comme partout, la vie prend le dessus. On fait face éventuellement à des difficultés professionnelles, on doit payer ses impôts, on connaît des soucis financiers, une routine s'installe avec des périodes de joie ou de déprime, le plus grand fait des siennes, le plus petit fait ses dents, on vit des séparations ou des deuils. La vie quoi, qui prend les mêmes airs dans la plupart de nos pays occidentaux assez gâtés merci. Plus tard et même à intervalles réguliers, le manque du pays peut se faire sentir, manque de la famille (pour ma part, cela fait dix ans que je n'ai pas vu la mienne), on a des doutes sur notre décision, on a envie de revivre ce grand saut et d'oser recommencer une nouvelle vie. Ailleurs. Comme une fuite en avant...

Je vous raconte tout ça parce que j'ai lu un article dans le journal La Presse d'aujourd'hui, intitulé « Cohue pour s'expatrier au Québec ».  Ainsi, en raison de la situation économique catastrophique en France, un très grand nombre de Français voit en la province du Québec, une terre d'espoir et de promesses. Je peux les comprendre alors que le taux de chômage est de 10 % (en constante augmentation depuis deux ans) avec 4,79 millions de chômeurs et de gens sous-employés. Nombreux sont donc ceux qui envisagent de quitter l'Hexagone et de s'expatrier en Allemagne, en Australie, au Brésil ou au Québec.

Mais le Québec, c'est petit... Et ne nous voilons pas la face, une grande partie des immigrants de n'importe quelle origine choisissent spontanément de s'installer dans les villes de Montréal ou de Québec. Pour ma part, je me souviendrai toujours de ce conseiller en immigration qui nous avait dit ceci en 1995 « Le Québec, ce n'est pas l'eldorado ». Et il avait raison. Même s'il fait bon vivre au Québec, personne ne vous attend les bras ouverts, et il faut prendre le temps nécessaire pour y faire sa petite place. Certaines agences de placement me faisaient souvent la réflexion que certaines entreprises hésitaient à embaucher des Français car, en général, ils repartaient au bout de deux ans. À l'époque, il y avait donc déjà une certaine réputation...

Or, ce qui m'inquiète un peu quand je lis de telles articles, c'est que ces Français désespérés qui désirent venir au Québec ne viendraient probablement pas pour les bonnes raisons. En attendant que le tout revienne à la normale dans leur pays, un grand nombre de ces « réfugiés économiques » (je ne dis pas tous) viendraient uniquement chercher un répit de ce côté-ci de l'Atlantique. Un peu comme ces Mexicains qui viennent travailler sur nos champs pour nourrir leur famille ou ces Africains (que l'on dénigre tant) qui traversent la Méditerranée avec l'espoir de jours meilleurs. Mais à l'inverse des Africains qui vivent souvent une situation de non retour, la situation serait tout autre pour ces Français désespérés. Ainsi, je n'ai pas aimé lire le commentaire suivant de Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger « C'est la même chose pour toute l'Europe. Pourquoi y voir quelque chose de négatif ? Quand le pays sera de nouveau en croissance, ils vont pouvoir revenir. ». Ben voyons, c'est si simple... 

Il y a déjà beaucoup d'accords d'échange de toutes sortes, notamment économiques, entre le Québec et la France. Je pense par exemple aux PVTs, ces permis vacance-travail d'une durée d'un an qui permettent à des Français âgés entre 18 et 35 ans de venir travailler au Canada sans trop d'embarras administratifs.  Les premières années du lancement de ce permis, les quotas étaient faibles. Or, depuis quelques années (le bouche à oreille a fait son oeuvre), c'est le boom et l'invasion avec des ribambelles de pvtistes qui débarquent dans la belle province.  On les croise au détour de nos rues ou derrière les comptoirs de commerces - les boulangeries Pain Doré ou Première moisson les apprécient beaucoup. Ça peut ressembler parfois à des petites colonies de vacances qui s'amusent à faire des comparaisons avec les us et coutumes français. Énervant même pour une « vieille » immigrante, alors imaginez pour un(e) Québécois(e) de souche...

Venir s'installer au Québec, ça doit être la finalité d'une décision mûrement réfléchie. C'est accepter de s'intégrer dans une société différente (et non pas parente éloignée), d'adopter ses façons de faire et, surtout, de faire preuve d'ouverture, d'humilité et de patience. À travail égal compétences égales et même un peu plus pour les Québécois qui sont pour la plupart bilingues, ce qui n'est pas toujours le cas des Français. Tout n'est pas parfait et la société québécoise vit ses propres soubresauts face à l'économie. Même si le taux de chômage atteint seulement les 7,8 %, il y a beaucoup de jobines ou d'emplois précaires. Les domaines manufacturiers ou de services professionnels connaissent des baisses d'activités avec des pertes d'emplois en conséquence. Le secteur culturel crie famine et le domaine des médias est une chasse gardée. Bien sûr, il y a des domaines d'activités qui sont en manque de main-d'oeuvre qualifiée comme l'aéronautique, le domaine industriel et les technologies de l'information mais il s'agit là de pénuries de travailleurs spécialisés. Dans ce cas-là, je comprends que si les démarches de recrutement n'ont pas permis de trouver les perles rares chez nous, on puisse élargir les recherches à l'international. Dont en France.

Bref, vous avez peut-être l'impression que j'encense un certain protectionnisme économique. Ce n'est pas du tout mon intention car je crois beaucoup à l'ouverture des frontières et à la mobilité internationale. Ce qui me préoccupe, c'est la chute brutale que peut représenter un espoir déçu. Ce qui se passe en Europe est dramatique et cela m'attriste. Toutefois, je ne pense pas que le Québec puisse se positionner comme un sauveur, et j'ose espérer que des organismes d'immigration comme Québec International qui a participé tout récemment à ce « Forum Expat » qui a attiré 3 000 personnes plutôt qu'aux 500 ou 800 prévues, exposent aux intéressés une vision honnête et réaliste du Québec. Car c'est la seule base d'un choix rationnel et d'une intégration réussie. 

2 commentaires:

  1. Article très juste.
    Du côté des organismes d'immigration, il semble, d'après les commentaires de nombreux immigrants reçus en provenance d'un peu partout, que rarement, on ait l'honnêteté d'expliquer que pour le travail, si le français est indispensable, l'anglais l'est tout autant,voire plus...
    Annette Bernet Baptiste

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  2. Ayant écrit quelques livres sur les Français, la France et la langue française, mais aussi sur la langue espagnole, je sais pertinemment que l'une des grandes bizarrerie historique de la France aura été que si peu de français aient quitté le pays pendant la période coloniale: beaucoup moins en nombre absolu et en proportion que les Espagnols, les Portugais et les Anglais - et presque tous les autres peuples européens. Je vois donc d'un bon oeil pour eux et pour nous qu'ils le fassent enfin.

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