15 juin 2013

Ce père que je n'ai pas assez bien aimé...


« La tendresse du père est presque toujours en conflit avec les intérêts du chef. » 
Marguerite Yourcenar

Sur la photo, elle apparaît frêle dans sa robe courte. Lui se tient à ses côtés, fier et beau. Dans cette petite ville du Nord de la France, ils se marient. Elle a dix-huit ans et lui dix-neuf. On ne voit pas encore le petit ventre arrondi de la mariée, la preuve de leur amour naissant mais aussi le point de bascule vers une vie d’adulte arrivée plus vite que prévu.

Nous sommes en 1967, l’époque du yé-yé affole les hanches d’une jeunesse avide d’amusement. C’est lors d’un de ces bals populaires que ma mère, timide et rêveuse, a succombé au charme d’un chef de bande rebelle qui n’hésitait pas à sortir les poings au besoin. Je suis née de cette union peu ordinaire entre un papillon qui peine à voler et un bourdon qui impose sa loi.

Cette loi, il l’imposera autant sur son lieu de travail (chantiers de travaux routiers) qu’à la maison. Même si je me souviens de moments de franche rigolade avec notre père, mon frère, ma sœur et moi connaissions les limites à ne pas déplacer. Issu d’une génération matée à coups de règle sur les doigts à l’école ou les punitions du bout des oreilles , celui-ci n'hésitait pas à user du martinet (qui servait aussi pour le chien), ou même de la ceinture quand la faute était grave. Ah oui, je me souviens aussi du rituel des bulletins scolaires. Dans le cas de mauvaises notes ou de commentaires plus ou moins favorables d’un professeur, est-il nécessaire de vous dire que nous tremblions déjà de peur alors que nous entendions au loin la voiture de notre père se rapprocher de la maison dans laquelle il n'avait même pas encore mis les pieds…?

Vous me direz que ce sont là des méthodes d’éducation un peu excessives certes, mais qu'une bonne discipline, ça forge des adultes accomplis et confiants. Peut-être. Toutefois, avant de devenir ces grandes personnes, il faut traverser une période plus ou moins mouvementée: l’adolescence. Pour ma part, le véritable clash avec mon père s’est produit à cette période de ma vie. Il faut dire que j’étais une ado hyper sensible avec la larme facile. Pas évident alors d'affronter un fort en gueule. Plus tard, beaucoup plus tard, je comprendrai que si mon père avait été psychologiquement exigeant, et parfois même méchant, avec moi, c'était la seule façon qu'il avait trouvée pour me forger le caractère et arrêter de pleurer à tout bout de champ. Disons que je n'ai pas de souvenirs d'une adolescence saine et sereine.

Jeune adulte, vous pensez bien que j’ai saisi la première occasion pour m’éloigner et m’arracher de cette emprise qui, plutôt que de me rendre en pleine possession de mes moyens, m’avait donné le sentiment de ne jamais être à la hauteur et, donc, de ne pas être la digne fille de son père.

J’ai grandi, j’ai changé et je me suis éloignée de mes parents un peu, beaucoup, puis complètement lorsque j’ai quitté la France avec mon conjoint pour le Canada. Seul le téléphone nous permettait de partager nos nouvelles, ma mère parlant toujours au nom de mon père qui n’était jamais bien loin. Et c'est seulement à 7 000 km que mes relations avec lui se sont détendues. Je redécouvrais mon père  tel qu'il avait pourtant toujours été, un homme dur avec un cœur tendre. Un homme qui avait un profond respect pour la personne que j’étais devenue et pour ce que j’avais entrepris.

Pourquoi je vous raconte tout cela ? Ben oui, c’est la Fête des pères demain. Comme depuis de nombreuses années, je ne vais pas la souhaiter à mon père. Il est décédé à l’âge de 51 ans alors que j’attendais ma fille qu’il n’aura pas connue. Je parle très peu de lui, et je lui rends encore moins hommage. Ce soir, j'ai eu envie de le faire. Parce que même intraitable, strict ou insupportable, un père qui n'est plus là vient à nous manquer. Et il est trop tard pour rattraper le temps perdu dans des conneries. 

Aux funérailles de mon père, ses collègues de travail étaient venus lui rendre un dernier hommage. Chacun d’entre eux avait une anecdote de lui dans le cadre de son travail. Et savez-vous quoi ? Je ne connaissais aucun eux mais eux me connaissaient, oh que oui ! Chacun d’entre eux m’a dit à quel point mon père était fier de moi, sa fille aînée dont il leur parlait si souvent. Il ne me l'avait pourtant jamais dit...

1 commentaire:

  1. Comme une feuille portée par le vent,
    nous ne laissons qu'un sentiment.
    Cordialement

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